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même des royalistes comme Chateaubriand, s’isolant à vue d’œil au milieu de la nation avec ses idées surannées et ses velléités de réaction.

La grande conspiration de M. Guizot à cette époque, c’est sa pensée, c’est ce travail intellectuel de dix ans par lequel, libre désormais de tout lien officiel, il entre peu à peu en possession d’une renommée qui le met à la tête d’une génération libérale grandissant dans la lutte et par la lutte. Comme publiciste, M. Guizot développait tous les principes d’un libéralisme modéré dans cette série de brochures qui se succédaient d’année en année : — Du gouvernement de la France depuis la restauration (1820). — Des conspirations et de la justice politique (1821). — Des moyens de gouvernement et d’opposition dans l’état actuel de la France (1821). — De la peine de mort en matière politique (1822). — Il en venait en 1827 à entrer plus directement dans la mêlée des opinions par la fondation de la Revue française, ce grave recueil autour duquel se ralliaient ses amis formant un groupe distinct à côté du jeune camp du Globe ; mais c’est surtout comme historien, comme philosophe de l’histoire, que M. Guizot prenait dans ces brillantes luttes de la restauration un ascendant sérieux et croissant, l’ascendant d’un maître à la parole puissante, éclairant la science par la politique et la politique par la science, répondant tout à la fois par ses théories aux libérales préoccupations de la société française et par la nouveauté de ses recherches à la curiosité des intelligences en travail. Jusque-là, M. Guizot n’avait été qu’un professeur entrant presque par faveur à la Sorbonne, puis distrait pendant quelques années par la politique; le mouvement des choses le ramenait en pleine maturité de l’âge et de l’esprit à ce qui était après tout la première vocation de sa nature, à l’enseignement, comme au moyen le plus sûr d’agrandir sa fortune politique.

Les gouvernemens ne savent pas toujours ce qu’ils font. Ils infligent quelquefois des disgrâces qui ressemblent étrangement à des bonheurs pour les hommes. En 1820, M. Guizot a le bonheur d’être exilé du conseil d’état, et, tout en faisant des brochures, il remonte dans sa chaire pour conquérir un public, pour dérouler devant un auditoire encore peu accoutumé à cet enseignement l’histoire des origines du gouvernement représentatif en Europe. En 1822, il a le bonheur de voir son cours suspendu par M. de Frayssinous, le grand-maître royaliste de l’Université, qui a la faiblesse de punir dans le professeur le publiciste libéral, et aussitôt il commence ses recherches sur la révolution d’Angleterre; il entre, avec l’indépendance d’un esprit préparé et maître de ces questions,