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tous les intérêts légitimes nés de 1789. C’étaient donc des hommes profondément pénétrés des instincts de la société moderne, types civils d’un tiers-état qui venait de faire son avènement dans la gloire militaire; mais en même temps ils n’avaient, ils ne voulaient avoir rien de commun avec la politique révolutionnaire. Ils ne condamnaient pas seulement la révolution dans ses excès, ils la combattaient jusque dans son esprit et dans ses théories, ou du moins dans une de ses théories essentielles, la souveraineté populaire; ils en répudiaient avec hauteur les idées, les procédés, les habitudes et même le langage, en ayant la prétention de l’épurer par une interprétation supérieure.

De là la politique des doctrinaires. Entre la souveraineté du peuple issue de la révolution et la souveraineté du droit divin, qui n’était plus qu’une superstition surannée, ils élevaient une souveraineté nouvelle destinée à remplacer les deux autres, la souveraineté de la raison humaine, de l’intelligence, représentée par les classes éclairées, mandataires elles-mêmes de la nation tout entière, et ces idées, ils les développaient dans leurs écrits, dans leurs discours, avec une éloquence sévère, toutes les fois que revenaient ces questions de la presse, des élections, du jury, qui ravivaient incessamment la lutte. Placés entre tous les partis, ils n’avaient ni la fougue tribunitienne d’un Manuel, ni l’entraînement chevaleresque d’un Foy, ni l’éternelle jeunesse révolutionnaire d’un Lafayette, ni la verve acérée d’un Benjamin Constant. Ils parlaient et ils écrivaient comme ils pensaient, avec plus de force que de chaleur, avec plus de gravité que de séduction. Au fond, c’étaient de vrais et sérieux libéraux servant à leur manière un grand mouvement, ayant le goût de la contradiction et de la lutte, relevant l’opposition par leur caractère et par leurs idées, répondant d’ailleurs par leur doctrine aux aspirations intimes d’une partie de la société française, et c’est ce qui faisait un moment leur popularité dans les luttes grandissantes de la restauration.

M. Royer-Collard, sur qui se résolvait un jour cette popularité en le faisant sept fois député dans une élection, en jetant son nom comme un défi au ministère Villèle, M. Royer-Collard est resté la haute expression du mouvement doctrinaire de la restauration, il en a été l’oracle presque auguste, le guide imposant et inactif; M. Guizot en était la jeunesse et l’espérance, si on a jamais été jeune dans l’école doctrinaire. Quand la réaction de 1820 l’exilait du conseil d’état et le rejetait dans l’opposition, il n’avait ni un âge assez avancé, ni un nom assez connu, ni une position assez en vue pour entrer dans les chambres; mais il avait acquis le goût des affaires, et ce ne fut jamais l’ambition qui lui manqua. Il avait assez de ta-