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sive, toujours sérieuse. C’est aussi par la restauration que le plus jeune des doctrinaires, M. Guizot, devenait un homme public, et tout d’abord le crédit de M. Royer-Collard le poussait, lui protestant, parvenu de la veille, au poste de secrétaire-général de l’abbé de Montesquiou dans le premier ministère de Louis XVIII. Jusque-là, il était resté en dehors de toute action politique, uniquement absorbé dans ses travaux littéraires et surtout depuis deux ans dans des études historiques, où il portait des idées neuves, la passion de l’équité et de l’exactitude, le goût des généralisations éveillé en lui à la lecture de Kant. Il s’était borné à vivre dans la familiarité de M. Royer-Collard et de ses amis, partageant leurs anxiétés et leurs espérances, et il n’avait eu l’occasion d’être initié au secret des affaires du temps que par ses rapports avec quelques-uns des membres du corps législatif, Maine de Biran, Gallois, Flaugergues, pendant que se délibérait cette adresse de 1813 qui faisait bondir Napoléon. Au commencement de 1814, M. Guizot avait fait le voyage de Nîmes, et c’est là qu’allait le chercher une lettre de M. Royer-Collard, le rappelant tout à coup pour faire de lui l’auxiliaire direct de M. de Montesquiou au ministère de l’intérieur, tandis que M. Royer-Collard lui-même devenait directeur de la librairie, et que quelques autres de ses amis entraient de leur côté dans l’administration nouvelle. M. Guizot revint à Paris avec la vive impression de ce qu’il avait vu sur son chemin, de ce spectacle de populations profondément ébranlées par la catastrophe de l’empire, et en même temps avec la confiance hardie d’une jeune ambition qui voit la carrière s’ouvrir devant elle.

Or, dans ce pêle-mêle d’une révolution qui en quelques jours ramenait la France d’un régime mille fois consacré par la victoire à la vieille monarchie héréditaire, que signifiaient ces quelques hommes qui, sans occuper la première place, avaient cependant assez de valeur pour être recherchés et écoutés? Ils représentaient, au lendemain comme à la veille de l’empire, une idée modératrice et jusqu’à un certain point une génération nouvelle. Royalistes et libéraux à la fois, ils ne se confondaient ni avec les émigrés ni avec ceux dent le libéralisme ressemblait à un souvenir révolutionnaire. C’étaient des esprits réfléchis qui voyaient dans cette monarchie restaurée, dans cette royauté à la fois ancienne et nouvelle revenant avec la charte, l’instrument d’une pacification nécessaire, d’une grande transaction entre tous les intérêts.

C’est avec ces idées que M. Royer-Collard et ses amis se donnaient à la première restauration; c’est avec ce sentiment d’une nécessité supérieure au génie lui-même que, sans se laisser éblouir ni décourager par la résurrection impériale du 20 mars, ils atten-