Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui avaient sur le génie lui-même l’avantage de le juger. Napoléon ne s’y méprenait pas ; il se trompait sur les moyens de traiter avec cette puissance modeste et indépendante de l’esprit qu’il trouvait devant lui et qu’il croyait soumettre en l’intimidant, il ne se trompait pas sur la nature des choses. Parfois, dans ses momens lucides, il voyait sans ombrage l’enseignement de M. Royer-Collard, il n’était pas insensible à l’éclat qui pouvait rejaillir sur son règne de à renaissance du spiritualisme philosophique, de même qu’il avait aimé à parer son avènement de l’éclat d’une restauration religieuse ; dans les momens où l’instinct du despote se réveillait en lui, il sentait que refaire les âmes par un enseignement viril, c’était les élever, les affranchir et les préparer à la revendication de la liberté politique. En outre Napoléon n’ignorait nullement les opinions royalistes de M. Royer-Collard, ses anciennes relations avec les princes de la maison de Bourbon, et plus il avançait dans son orageuse carrière, plus il devinait avec la sagacité du génie que ces Bourbons oubliés en apparence étaient les seuls héritiers possibles de son pouvoir, s’il succombait. Aussi M. Royer-Collard et ses amis lui étaient-ils profondément suspects, bien qu’il sût parfaitement qu’il n’avait rien à craindre de leur opposition. Il voyait en eux les auxiliaires inavoués, les précurseurs secrets de ces héritiers qu’il dédaignait et qu’il redoutait à la fois, les amis naturels « du gouvernement futur, » et il voyait clair, puisqu’en définitive ces hommes de méditation et d’étude représentaient la seule idée qui pût relever aux yeux de la France une restauration monarchique, si elle devenait nécessaire, et compenser la gloire en déclin, — l’idée libérale. Dans leurs réunions, qui n’avaient encore rien de politique, ils étaient les fauteurs de cette cause de la liberté et de la paix à laquelle l’adresse du corps législatif, en 1813, rendait un premier, un timide et inutile témoignage en face des catastrophes qui se précipitaient, et c’est ainsi que dans cette tempête où allait sombrer l’empire naissait une école très moderne par les idées, par les instincts comme par les hommes dont elle se composait, qui la veille encore n’était qu’un groupe de philosophes, d’historiens, de professeurs, et qui le lendemain était un parti sérieux, — une école que M. Royer-Collard a marquée à l’origine du sceau de sa forte originalité, que M. Guizot a continuée après M. Royer-Collard en lui imprimant à son tour son caractère, et qui, à dater de ce jour, a laissé sa trace dans l’histoire des essais constitutionnels de la France pendant trente-quatre ans.

C’est par la restauration que l’école doctrinaire, sans être connue encore sous son vrai nom, et sans même cesser d’être une école, est devenue un parti puissant, exerçant une influence souvent déci-