Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maî- de l’Allemagne ? Cette idée au reste, ce n’est pas la première fois qu’elle se produit. Imaginée deux mois après Sadowa comme le dédommagement d’un mécompte inavoué, elle se déployait avec hardiesse dans une circulaire diplomatique qui ne trompait personne, pas même ceux qui cherchaient à se faire illusion, puisque le lendemain ils avouaient leurs angoisses patriotiques, et demandaient à la France d’accepter le fardeau d’un état militaire proportionné aux circonstances nouvelles. Elle avait disparu depuis, on n’y revenait qu’avec une timidité désabusée ; elle semble reparaître aujourd’hui, et en réalité la carte qui vient d’être livrée au public est l’illustration de la circulaire de M. de Lavallette. Aujourd’hui comme il y c deux ans, mise en carte de géographie ou en circulaire diplomatique, l’idée n’est pas de nature à détourner le courant des impressions publiques, par la raison bien simple qu’elle ne touche pas au vif des choses, qu’elle ne répond pas à la vraie question qui s’agite, qu’enfin, eût-elle pour le moment quelque apparence de vérité, elle ne résout rien et laisse l’avenir de demain dans sa menaçante obscurité.

Le gouvernement français, nous le croyons bien, ne nourrit pas des préméditations belliqueuses ; il a la bonne volonté de la paix, il désire la paix pour beaucoup de raisons, et la première de toutes, c’est qu’il y est intéressé, c’est qu’il y a des moments où on ne se jette plus volontiers dans ces hardies entreprises où il faut de l’audace et du bonheur. Malheureusement il est sous le poids de deux ou trois préoccupations qui l’entraînent à des démarches contradictoires nées de la position qu’il s’est faite en laissant s’accomplir des événemens qui ont déconcerté toutes ses prévisions. Il est un peu comme tout le monde, il veut la paix sans y croire ; mais à coup sûr la plus dangereuse manière de la vouloir, et probablement la plus inefficace pour l’assurer, c’est de reculer devant la vérité des situations, c’est de chercher à se faire illusion et à faire illusion aux autres par des billevesées géographiques qui, pour panser une blessure d’amour-propre, jettent un voile sur ce qui est le vrai danger du monde européen tel que l’a laissé la guerre d’Allemagne. Une carte n’y peut malheureusement rien. L’artifice de cette composition de géographie repose sur une combinaison de couleurs distribuées d’après cette idée qu’autrefois l’Allemagne était une puissance agglomérée et compacte, liant ensemble 80 millions d’hommes commandés par l’Autriche et la Prusse, ayant ses avant-postes dans les Pays-Bas, nous enserrant dans un cercle de forteresses occupées par le même ennemi, touchant par tous les points à notre frontière béante du nord, et pesant sur nous de son poids gigantesque, tandis que maintenant tout est changé, l’œuvre de 1815 a disparu pour le plus grand bien de l’équilibre européen. Aujourd’hui l’Autriche est sortie de l’Allemagne et s’enfuit vers l’Orient avec sa coul, eur verte. La Prusse, agrandie, il est vrai, ne compte que 30 millions d’hommes avec la confédération du nord,