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de la sardine devient communément le dernier asile et le dernier gagne-pain du matelot. Ne serait-ce point de la communication constante avec les forces indomptables de l’Océan que viendrait la résignation si ordinaire chez ces populations dans les épreuves de la misère ? Peut-être s’est-on accoutumé sans le savoir à l’idée de l’impuissance individuelle devant les irrésistibles forces de la nature. Cette docilité, qui n’exclut point l’énergie particulière, mais concentrée, qu’une rude existence tend à développer, a l’inconvénient de laisser subsister un fonds d’insouciance difficile à vaincre. Que le mal dérive de là ou d’ailleurs, il existe : sur ces côtes, on manque d’initiative ; chacun, tout en ayant conscience de sa valeur et de sa force, ose à peine la produire. Il suffirait d’une impulsion intelligente et vigoureuse pour ranimer des instincts d’indépendance et d’action qui ne sont qu’engourdis.

Paludiers et pêcheurs aiment leur travail, leur lot dans la vie, sentiment qui devient de plus en plus rare ailleurs. Ils peuvent se plaindre de l’insuffisance du salaire, jamais de la besogne elle-même. Cette fidélité dans une tâche héréditaire met parfois obstacle à certaines réformes que semblent commander des considérations du plus grand poids. On est en droit, par exemple, de trouver que le labeur attribué à la femme dans les marais salans l’écarte trop longtemps du foyer domestique, qu’il l’oblige à un trop large déploiement de forces. Les porteuses de sel n’ont pour ainsi dire pas le temps de dormir dans la saison de leur grande besogne. Le travail commence l’après-midi, se prolonge souvent fort avant dans la nuit, et n’exempte pas la femme des soins ordinaires du ménage, ni même de l’exercice de certain métier accessoire. D’aussi durs travaux sont d’ailleurs acceptés sans amertume, les femmes s’y dévouent avec un courage que rien n’ébranle. Cette passive soumission ne saurait empêcher de former des vœux pour que l’abus disparaisse des pratiques locales. Cela serait tout à l’avantage des enfans, qui seraient mieux surveillés et mieux dirigés. C’est ainsi que des réformes de l’ordre économique réagissent souvent de la façon la plus avantageuse sur l’ordre moral.

Il en est d’autres au contraire, purement morales, dont les intérêts matériels profiteraient dans une large mesure. L’une des plus désirables touche à un défaut qu’on peut appeler la plaie des côtes, et dont il faut peut-être attribuer la cause première aux privations excessives de la vie journalière, j’entends parler de l’abus du vin. Pour les pêcheurs, certains usages liés à l’exercice de leur industrie semblent favoriser des excès trop fréquens. La stipulation d’un pot-de-vin, et il faut ici prendre le mot dans son sens le plus littéral, accompagne toute vente de sardines à raison de un ou deux pots par millier. Il existe encore des pots-de-vin supplémentaires