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dioses et saisissans qui captivent l’imagination. L’intérêt du tableau tient à d’autres circonstances, il tient surtout à la simplicité de vie de ces robustes travailleurs. Grâce à la salubrité du pays, la population des côtes, soit qu’elle s’adonne à la pêche, soit qu’elle exploite les marais salans, se fait remarquer par une constitution vigoureuse. Les hommes sont grands et bien découplés, les femmes ont une fraîcheur de teint mainte fois célébrée. Elles y joignent une force remarquable et qui n’exclut point la souplesse. Il suffit de voir, pour en juger, les paludières du salin de Guérande portant sur la tête leurs lourds fardeaux, les pieds nus, en courts jupons, courant plutôt que marchant sur le bord des salines. Dans les familles cependant la vie est dure et parcimonieuse : presque jamais de viande, le matin et le soir une soupe maigre, à midi des pommes de terre mal assaisonnées, — tel est le menu ordinaire du paludier. Le voisinage de la mer permet d’y ajouter la sardine et quelques coquillages très vulgaires qui ne valent pas la peine d’être transportés dans les villes et qui ne s’y vendraient pas. La détresse dont souffre l’industrie locale a rendu cette chétive alimentation de plus en plus précaire. Cruel ou badin, le vieux dicton, « qui dort dîne, » a trouvé plus d’une fois ici sa triste application. Durant le dernier hiver, quelques pauvres gens restaient au lit tout le jour afin de s’épargner un repas. Les paludiers qui en sont réduits à leur seule profession, et c’est la grande majorité, traînent une existence malheureuse. Il en est de même pour les pêcheurs de sardines, car dans les deux états, sous le rapport des intermittences du travail, l’analogie est complète : on ne travaille communément que durant un laps de temps trop court pour produire un gain suffisant, et hors de son métier le paludier, comme le pêcheur, ne trouve que bien rarement de l’occupation. Les terrains cultivables sont extrêmement restreints autour du salin de Guérande. Quelques paludiers du Bourg-de-Batz, mais peu nombreux, joignent au labeur ordinaire et aux travaux dans les marais de petites opérations de colportage et de commerce. De même pour les pêcheurs de sardines, point ou peu de besogne l’hiver. Leurs ressources si rigidement circonscrites, surtout au Croisic, où le travail agricole est inconnu, ne pourront s’accroître que par les développemens de la grande pêche côtière.

Rapprochés sous le rapport des interruptions du travail, comme sous celui des conditions de la vie matérielle, les paludiers et les pêcheurs le sont encore dans leur commun attachement aux mœurs traditionnelles; mais l’empire de la coutume se révèle fréquemment chez les uns et chez les autres par des traits dissemblables. Les premiers avaient toujours montré des goûts sédentaires, un vif attachement au foyer de la famille, où le père exerçait une sorte d’au-