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posée de cinquante-deux états presque entièrement indépendans. C’était évidemment pousser la décentralisation jusqu’à la dissolution de l’état. Eötvös et Deák, s’élevant au-dessus des passions du moment, soutenaient que, quand on aurait un ministère responsable et un parlement investi des pouvoirs qui dans tout pays libre doivent lui appartenir, il ne faudrait pas que, sous prétexte d’autonomie, les assemblées provinciales pussent suspendre l’exécution des lois votées par l’assemblée nationale. Cette grave question des limites du pouvoir central, tant agitée lors de la fondation de la république des États-Unis, et qui préoccupe encore maintenant tous les esprits sérieux, fut alors en Hongrie l’objet de discussions qu’on peut placer à côté de celles de la célèbre publication américaine le Fédéraliste.

En 1846, Deák se sentit atteint d’un mal inconnu qui lui ôtait ses forces. Il chercha à les recouvrer en visitant les lieux de bains de son pays et de l’étranger. Il voyagea en Suisse, en Italie, en France et en Angleterre. Il revint mieux portant, mais trop faible encore pour accepter la candidature qu’on lui offrit aux élections de 1847. La situation de son pays le préoccupait vivement. Il n’y voyait d’issue que le despotisme ou la révolution. Il y avait un désaccord effrayant entre les fondemens et le couronnement de la constitution hongroise. Les rouages du régime représentatif, tel que les siècles l’avaient fait, étaient si compliqués qu’ils n’ouvraient pas de voie régulière aux idées nouvelles qui bouillonnaient dans les assemblées des comitats. Les députés avaient seuls le droit de proposer un changement aux lois en vigueur ; mais ils n’arrivaient guère à faire prévaloir leurs résolutions. Le temps se perdait en discussions irritantes. Quand un projet était soumis à la chambre des magnats, ceux-ci le modifiaient d’ordinaire profondément. Les députés admettaient une partie des amendemens, puis renvoyaient le projet à la chambre haute. C’était un échange de notes et de contre-notes sans fin. Si l’on parvenait à s’entendre, il fallait encore expédier l’élaborat à la chancellerie hongroise de Vienne, qui le renvoyait avec de nouveaux changemens et un rescrit, ou bien qui ne répondait rien. Ainsi la chambre basse, émanée des ardentes assemblées des comitats, se trouvait réduite à l’impuissance. La cour de Vienne faisait-elle quelque promesse, celle-ci était accueillie par une explosion d’eljen ; le représentant du souverain, le personalis regius, se servait-il d’une expression portant atteinte aux droits de la nation, on criait de toutes parts : gravamen, et quelque juriste ressassait les précédens. La diète était donc un excellent boulevard contre l’arbitraire, mais elle ne pouvait devenir un instrument de progrès et de réforme. Malgré beaucoup d’idées généreuses brillamment défendues, malgré les discours éloquens