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le paludier ne peut guère en cultiver que cinquante, pour lesquels sa part, année commune, atteint à peine le chiffre de 100 francs. S’il fait porter le sel par deux femmes de sa famille, il peut toucher, outre le prix du sel blanc, une somme d’environ 75 fr. Il réalise, il est vrai, quelques profits accessoires. Lors de la vente, il concourt moyennant paiement à la conduite de la marchandise jusqu’aux bateaux qui viennent la prendre dans les étiers, canaux naturels que la mer inonde à marée haute. Les réparations appelées mises, qu’il exécute durant l’hiver, et dont, par une vicieuse organisation du travail excluant tout contrôle, il est en fait l’unique juge, donnent lieu à une rétribution additionnelle. Si l’on évalue à 80 francs la somme provenant de ces deux dernières sources, on est plutôt au-dessus qu’au-dessous de la limite ordinaire. Voilà donc, en forçant les chiffres, un total de 255 francs par an. C’est bien peu, et la situation du paludier est d’autant plus précaire qu’il ne peut, en raison du temps qu’il doit consacrer aux mises, augmenter ses ressources que dans une proportion insignifiante en s’employant durant l’hiver à d’autres travaux. Ces chiffres se rapportent au salin de Guérande; dans celui de Bourgneuf, c’est pis encore. Ici les frais d’exploitation excèdent parfois le produit du marais. On ne trouverait pas de paludier, si en même temps que la saline on ne louait des terres labourables, et il arrive que des fermiers offrent d’augmenter le prix de leur bail, si on consent à les décharger de la culture du sel. Aussi l’œillet, qui à Guérande se vendait, il y a peu de temps, de 400 à A50 francs, est tombé à 100. La valeur totale du salin est descendue de 7 millions à 1,500,000 francs. A Bourgneuf, où l’œillet valait de 100 à 150 francs, il est arrivé au prix désastreux de 15 et de 10 francs, tandis que les terres voisines doublaient et triplaient de valeur. Si la dépréciation est sur la rive gauche de la Loire beaucoup plus marquée que sur la rive droite, cela tient à des circonstances particulières. La pêche de la sardine et des établissemens de lavage et de raffinage établis sur les côtes assurent au sel du bassin de Guérande un certain écoulement local qui a empêché les prix de s’avilir autant que de l’autre côté du fleuve.

Aucun genre de propriété territoriale n’a traversé en France, depuis 1789, d’aussi nombreuses, d’aussi cruelles péripéties. Les possesseurs de salines ont eu à supporter d’abord le chiffre exorbitant de l’impôt sur le sel. Aboli au commencement de la révolution, rétabli en 1806 sous un autre nom et sur des bases toutes différentes, cet impôt est resté écrasant. Fixé dans le principe à 20 francs, puis à 40 les 100 kilogrammes, il fut en 1814 mis à 30 francs. Supprimée au mois d’avril 1848, la taxe fut de nouveau