Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment pétrifiées un jour de tempête. Sur la rive gauche de la Loire, le caractère du pays est tout différent. La ville de Bourgneuf domine les plaines salicoles à peu près comme Guérande sur la rive droite, mais de moins haut. Le rivage est partout plat et vaseux, les bords des marais se recouvrent chaque année d’une riche moisson de fèves ou de froment. Jadis fort malsain, ce territoire a beaucoup gagné par suite de desséchemens heureusement accomplis; mais les causes qui ont presque ruiné l’industrie saline dans l’ouest se sont fait sentir ici d’une manière non moins désastreuse que sur la rive droite.

Des deux côtés de la Loire, l’installation et le régime des exploitations salicoles sont à très peu de chose près les mêmes. Rien de plus facile à se représenter qu’un marais salant. Qu’on se figure un jardin maraîcher dont les carrés seraient pleins d’eau, et où les allées, au lieu de se trouver un peu au-dessous du sol cultivé, le domineraient de 10 ou 12 centimètres. Ces carrés s’appellent œillets. Ils sont remplis par l’eau de la mer, introduite à marée haute et préalablement concentrée pendant quinze ou trente jours dans des réservoirs attenant à chaque marais. Elle est après cela conduite dans les œillets à travers un système assez compliqué de canaux. La production du sel marin constitue ainsi une branche d’agriculture d’un genre spécial, où le concours visible de l’homme s’unit à l’œuvre mystérieuse de la nature. La terre a besoin d’être travaillée et disposée d’après certaines conditions pour que le sel s’y coagule, comme le champ pour que le blé y germe et y mûrisse. Ainsi on ne fabrique pas le sel marin, on le récolte. Rien d’étonnant dès lors que les paludiers empruntent aux agriculteurs une partie de leurs termes professionnels. A certains momens, dans leur langage, « le marais est en fleur, » et ils disent du sel qu’on le « cueille, » comme on le dit des fruits des vergers.

C’est dans l’œillet, où l’eau n’a guère qu’un centimètre de profondeur, que le sel se forme, grâce à l’évaporation que produit le soleil et que favorise le courant qui circule lentement entre les divers compartimens de la saline. Il tombe de lui-même au fond du bassin; le paludier, armé d’une espèce de long râteau, n’a plus qu’à le ramener sur des ronds en terre ménagés au bord de distance en distance. La récolte se fait tous les jours ou tous les deux jours. L’art consiste à bien ramasser tout le sel sans entraîner de vase en même temps. Dans le salin de Guérande, on retire séparément un sel blanc qui cristallise à la surface de l’œillet sous l’apparence d’une écume. Ce produit est employé pour la salaison des sardines. Faute de cette destination spéciale, il est à Bourgneuf mêlé avec le reste.