Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces mille variantes provenant des legs du passé, du milieu, du genre d’occupations? Pour éclaircir ces questions, il faut rechercher de quelle façon et dans quelle mesure des populations jusqu’ici obstinément immobiles sont enfin entrées dans le courant de l’activité générale. Ce mode d’envisager le progrès social, nous l’avons développé déjà ici même dans des études concernant plusieurs groupes industriels ou agricoles[1] ; nous voudrions appliquer les mêmes procédés d’analyse à cette partie de la Bretagne qui avoisine le bas de la Loire. Nous y sommes attiré par certaines questions récemment soulevées et qui réclament d’urgentes solutions. On y rencontre d’ailleurs dans les intérêts un mélange d’affinités et de contrastes qui prête au tableau un attrayant relief. Plusieurs catégories de travailleurs s’y présentent à l’observation : d’une part ceux qui profitent du voisinage de la mer, comme les paludiers des marais salans et les pêcheurs de la côte, puis les matelots qui montent nos bâtimens de guerre et de commerce, enfin les populations attachées à la terre et vivant de la terre, les cultivateurs, les ouvriers employés dans les vastes exploitations tourbières si singulièrement organisées dans ce pays. Les deux premiers groupes nous occuperont seuls aujourd’hui.

La région où nous nous transportons s’étend d’Indret et des forges de la basse Indre à la mer. Sur la rive gauche de la Loire, la petite cité du Pellerin, justement fière de sa position pittoresque et de ses riantes perspectives, sur la rive droite les vertes prairies et les nombreuses villas de Saint-Étienne-de-Montluc, en marquent les premières limites. Les extrémités opposées s’avancent dans l’Océan par les pointes de Mesquer, du Croisic, de Painchâteau et de Saint-Gildas. Occupant à peu près le tiers du département de la Loire-Inférieure, ce bassin remonte au nord, vers le Morbihan, jusqu’aux rives escarpées de la Vilaine, et descend au sud, vers la Vendée, jusqu’aux épais taillis du Bocage. Le groupe des pêcheurs et celui des paludiers s’entremêlent le long des côtes, à droite et à gauche du grand cours d’eau qui coupe cette région en deux parties à peu près égales.


I.

La production du sel marin, qui avait enrichi pendant longtemps nos provinces de l’ouest, en est arrivée aujourd’hui à un état des plus critiques. Après avoir traversé, surtout depuis une vingtaine

  1. Voyez en dernier lieu, dans la Revue du 1er juin 1867, le Métayage et la Culture dans le Périgord.