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ne puis user à mon profit de l’illégalité que je blâme chez mes adversaires. » C’était un acte de grand courage qui dut coûter beaucoup à sa vertu, non pour la place de député qu’il perdait, mais à cause du cruel mécompte qu’il infligeait à ceux qui s’étaient dévoués pour le succès de sa candidature. Plusieurs d’entre eux avaient payé de leur personne et de leur bourse au point de s’endetter. En récompense de leurs sacrifices, ils ne recevaient qu’un blâme public d’autant plus cruel qu’il tombait de plus haut. Leur désappointement fut extrême; dans leur colère, ils n’épargnèrent pas à Deák les plus amers reproches. Il sacrifiait, disaient-ils, l’intérêt du parti à l’ambition de se poser en homme d’une probité politique exceptionnelle. Les élections en Hongrie, comme dans tous les pays libres, donnaient lieu au conflit des passions surexcitées; mais jamais nul ne s’était avisé d’en récuser le résultat. Immoler le triomphe des principes à des susceptibilités personnelles et le bien public à d’étroits scrupules, c’était un coupable égoïsme. — En politique, ce qui est le plus difficile, c’est de résister à ses amis. Deák eut ce courage, et par son refus, qu’aucune accusation ne put ébranler, il rendit à son pays un service bien plus grand qu’en allant occuper son siège au parlement. Quand il s’agit de donner à toute une nation une leçon de moralité, des discours sont peu de chose; un acte, un noble exemple, parle plus haut que la plus merveilleuse éloquence.

L’absence de cet homme de bien produisit une impression profonde. Elle fut considérée comme un malheur public, et néanmoins chacun finit par rendre justice aux nobles sentimens qui avaient guidé Deák. « En France, s’écria Eugène Beöthy au sein de la diète, après la mort de Latour d’Auvergne, on continua dans son régiment à faire l’appel de son nom, et une voix répondait : Mort au champ d’honneur. En Allemagne, le jour du couronnement de l’empereur, on demandait : Y a-t-il un Dahlberg dans l’assistance? Je propose qu’à l’ouverture de chaque diète on demande aussi : Deák est-il présent parmi nous ? » Zsedényi, principal adversaire de celui qu’on avait déjà surnommé le grand député de Zala, rendit hommage, suivant l’usage anglais, à son antagoniste politique, et n’hésita point à dire que le plus pur caractère de la Hongrie manquait à la chambre. Les journaux les plus opposés aux opinions de Deák parlèrent dans le même sens. Sans avoir eu d’autre but que celui de remplir son devoir, il obtint un plus beau succès que par ses meilleurs discours : c’était le triomphe de l’honnêteté politique. n fit autant d’honneur à ceux qui le décernèrent qu’à celui qui en fut l’objet. Nul n’osa occuper le siège que Deák avait laissé vacant. A la diète de 1843, le comitat de Zala n’eut plus qu’un seul repré-