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bats. Jusque-là on s’était à peu près battu de la même façon sur mer que sur terre. L’élément seul était changé, le champ de bataille était l’Océan. Les flottes, disposées en croissant, s’avançaient à force de rames ou vent arrière l’une contre l’autre ; les archers lançaient leurs flèches, et lorsque l’abordage avait eu lieu, les hommes d’armes se chargeaient sur le pont ou s’assiégeaient dans ces lourds châteaux élevés aux deux extrémités du navire, et que l’on appelait château d’avant et château d’arrière. Avec des hommes tels que Ruyter, Van Tromp, Blake, Albemarle, Tourville, cette tactique toute féodale devait changer. À ces sortes de combats singuliers entre navires succédèrent les combats d’escadre à escadre. A la place d’une valeur absolue, le vaisseau n’eut plus qu’une valeur relative. L’on se mit en ligne de manière à prêter à l’ennemi le flanc, c’est-à-dire le côté le plus fort et garni de canons; chaque adversaire s’efforça de gagner le vent afin d’éviter à son gré ou d’engager le combat. Une vive canonnade le commençait; on y employait le boulet rond et le boulet ramé, on y ajoutait des flèches à artifices qu’on lançait dans les agrès et les voiles de l’ennemi. Si l’on était plus près, on employait les grenades et les pots à feu pour nettoyer les ponts et cela jusqu’au moment où l’une des deux lignes venait à plier; alors sur cette ligne à demi rompue on dirigeait des brûlots qui s’attachaient aux flancs du navire et le dévoraient, de sorte que chaque combat naval finissait par un incendie. Sous Jacques II, qui fut amiral avant d’être roi, et sous Guillaume d’Orange, ce fut cette tactique qui prévalut; mais, bien que nous devions la voir en honneur une grande partie du XVIIIe siècle, nous allons déjà saisir en germe, dès Velez-Malaga, le mouvement décisif qui, beaucoup plus tard, sous Suffren et sous Nelson, la modifiera profondément, et deviendra l’objet principal de la tactique contemporaine.

La flotte du comte de Toulouse, partie de Toulon vers le milieu d’août 1705, mouilla le 22 à l’est de Velez-Malaga. Le 23, elle appareilla et s’éleva pour avoir des nouvelles de la flotte anglo-hollandaise de l’amiral Rooke. On la découvrit fort loin, ayant le vent sur la flotte française, et le reste du jour fut employé à se préparer au combat. Le 24 au matin, on aperçut distinctement la flotte des alliés venant d’Afrique et arrivant sur celle du roi. La pensée de livrer bataille ce jour-là, qui était l’anniversaire de la Saint-Louis, remplissait d’enthousiasme les officiers et les matelots. Le comte de Toulouse, ayant serré avec le plus grand soin sa flotte sur une seule ligne, continua de courir sur la perpendiculaire du vent, et attendit l’ennemi avec une contenance pleine de fierté.

Cette bataille, qui du lieu où elle se livra reçut le nom de bataille de Velez-Malaga, était la première du XVIIIe siècle. La France