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marchandes. Étant à trois lieues de ses camarades, il rencontre la Revenge, garde-côte anglais de 72 canons, se présente pour l’aborder avec sa civadière prolongée, l’intimide au point de lui faire prendre chasse vers les Sorlingues, et ne l’abandonne qu’à ce port après trois heures de poursuite où les vitesses des deux vaisseaux ont été si égales qu’on a toujours pu combattre à portée de fusil. Quelques jours plus tard, la Mouche, s’étant séparée pendant la nuit, est prise par cette même Revenge, dont le capitaine se vante d’être sorti avec le Falmonth, vaisseau de 54, pour chercher les deux vaisseaux français et se mesurer avec eux. Du Guay-Trouin n’oubliera ni la perte de sa corvette ni la bravade de celui qui l’a prise. En attendant, il découvre en sortant de la Manche une flotte de 30 voiles escortée par un vaisseau anglais de 54 canons, le Coventry, Pendant que le Jason enlève en trois quarts d’heure le Coventry à l’abordage, l’Auguste donne au milieu de la flotte et amarine douze navires. En conduisant ces prises à Brest, Du Guay-Trouin reconnaît dans deux gros vaisseaux et une corvette qui arrivent vent arrière et mettent en travers à une lieue la Revenge, le Falmouth et « sa pauvre Mouche. » Malgré les avaries de son dernier combat et l’embarras de ses prises, Du Guay-Trouin pousse à l’ennemi, qui, au lieu de soutenir la lutte, prend la fuite.

Pendant que s’achève à Brest une frégate de 26 canons, la Valeur, dont il confie le commandement à son jeune frère. Du Guay-Trouin reprend la mer avec le Jason, l’Auguste et deux frégates de 20 à 26 canons. Pour la première fois il va éprouver l’inconstance de la fortune et, ce qui est plus pour un noble cœur, se voir abandonné par ses « camarades, » nom de solidarité et d’affection qu’il ne cesse dans ses mémoires de donner à ses capitaines. Il semble, quand on le lit, qu’il éprouve à parler de cette défection une sorte de honte personnelle. Il avait fait trois prises à la hauteur du cap Lézard lorsqu’il est surpris presque à l’improviste par deux vaisseaux anglais. Il court aussitôt au plus gros, le Rochester, de 66 canons, pour l’aborder ; mais ce vaisseau lui lâche si à propos toute sa bordée au moment où il allait le prolonger à portée de pistolet, que toutes les manœuvres du Jason sont hachées et que ses voiles sans boulines ni bras se coiffent sur les mâts et le font virer vent devant. Dans cette évolution, le Jason reçoit une bordée en enfilade de l’arrière à l’avant, perd sa vergue de grand hunier, dont les deux morceaux crèvent la grand’ voile en tombant, et n’a d’autre ressource que de laisser porter vent arrière sur l’Auguste, afin de se réparer à son abri et de revenir ensuite avec lui à la charge ; mais l’Auguste, au lieu de l’accompagner, ne fait nulle attention à ses signaux, et s’éloigne de plus en plus. Du Guay-Trouin, ayant