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jettissant son bord aux plus minutieuses précautions d’hygiène et de propreté, il avait ouvert à la marine cette voie de bonne tenue et de salubrité où elle allait bientôt marcher sous ses ordres. Quand l’intelligence d’un homme ne s’use pas dans les détails, elle s’élève du même coup aux plus vastes conceptions; elle n’a fait en quelque sorte, par cette sollicitude puérile aux yeux du vulgaire, qu’asseoir la base où elle doit opérer plus tard. Tourville, nommé amiral, embrassa une flotte d’un coup d’œil aussi sûr et aussi prompt qu’il l’avait fait pour un seul vaisseau, il la courba sous une discipline exacte, l’instruisit aux manœuvres théoriques, et en obtint ce qu’il voulut en lui donnant pour guides l’obéissance et l’honneur, ces deux grandes vertus qu’il possédait lui-même et dont il offrit à La Hogue un si mémorable exemple en combattant, sur un seul ordre du roi, une flotte double de la sienne. Il créa de plus l’esprit de corps par l’homogénéité et l’émulation. La marine royale lui dut d’être ce qu’elle s’est toujours montrée depuis malgré d’apparentes transformations, brave, instruite et polie,

Jean Bart est le premier marin de cette époque que sa naissance n’ait point protégé et qui soit arrivé par son seul mérite. Aussi son nom a-t-il été alors et est-il resté célèbre parmi nos populations maritimes. Ce fut en effet le premier enfant du peuple qui, selon l’expression qu’employa plus tard Napoléon, partit pour la guerre avec le bâton d’amiral dans sa giberne. Fils d’un corsaire de Dunkerque, il s’engagea d’abord dans l’escadre de Ruyter, quand ce grand homme de mer commandait contre l’Angleterre les flottes alliées de la France et de la Hollande. Il n’y fit qu’un médiocre matelot : ce n’était ni l’intrépidité ni l’intelligence qui lui manquaient; mais, habitué dès l’enfance à la camaraderie des armemens privés, il ne put jamais se ployer qu’imparfaitement à la discipline, cette nécessité du navire de guerre qui fait son unité et sa force. Redevenu libre aussitôt qu’il lui fut possible, il recommença ces courses qui lui étaient si chères, et laissa se développer ses qualités de marin sur ce théâtre de son choix., Vivant de la même vie que ses rudes compagnons, se les attachant par sa facile humeur, par son insouciance du butin, par son laisser-aller dans le service lors des circonstances ordinaires de la navigation, il les dominait à l’heure du danger par un courage de lion uni à un merveilleux sang-froid et en toute occasion par sa rare finesse, que couvraient les dehors d’une naïve bonhomie. Il arriva une époque dans la vie de Jean Bart où sortir son navire da port, le faire passer au travers d’une flotte ennemie par un temps de brume ou de tempête, et le rentrer quelques jours après avec un bâtiment capturé à la remorque, ne fut plus qu’un jeu pour l’intrépide cor-