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Indes occidentales; mais, craignant pour « l’honnête Benbow, » ainsi qu’il l’appelait, la fatigue de deux campagnes consécutives, il le fit venir et lui déclara qu’il ne lui en voudrait nullement d’un refus, s’il avait besoin de repos. Benbow lui répondit avec cette abnégation et ce sentiment du devoir qui distinguaient déjà les marins anglais que « pour lui tous les climats étaient les mêmes, qu’il ne pensait pas qu’un officier eût le droit de choisir sa station, et qu’il serait toujours prêt à se rendre sur n’importe quel point du globe quand le service de sa majesté l’exigerait. » Il arbora donc son pavillon à bord du Breda, de 70 canons, et partit avec 10 vaisseaux pour la Jamaïque. Le 19 juillet 1702, les escadres anglaise et française se rencontraient à la hauteur du cap Santa-Martha. Ducasse, avec 5 vaisseaux et 3 frégates, longeait la côte sous voiles légères, et se dirigeait vers l’ouest. Benbow, formant aussitôt sa ligne avec le Breda au milieu, s’efforça de prolonger l’escadre française. Il avait l’intention de ne commencer le combat que lorsqu’il serait complètement par le travers de celle-ci; mais, Ducasse ayant ouvert le feu, Benbow se vit forcé d’y répondre, et l’action s’engagea. Toutefois c’est moins à un combat naval que nous allons assister qu’à l’étrange spectacle d’un amiral abandonné trois jours de suite par ses capitaines, et continuant jusqu’à la mort une lutte disproportionnée que la générosité seule de son adversaire lui rendit possible.

A peine les vaisseaux de tête de Benbow eurent-ils échangé quelques boulets avec l’arrière-garde française, qu’ils tinrent le vent et se mirent hors de portée du canon. Le Breda, qui les suivait de près, prit leur place; mais, n’étant point soutenu par le reste de l’escadre, qui avait diminué de voiles, il resta seul au feu jusqu’à la nuit, et souffrit beaucoup. L’obscurité mit fin au combat. Le 20 au matin, indigné de la conduite de ses capitaines, l’amiral anglais prit la tête de la ligne, espérant que son exemple les forcerait à remplir leur devoir; mais il en fut ce jour-là comme la veille. Arrivé à portée de canon du Saint-Louis, Benbow s’aperçut qu’un seul de ses vaisseaux, le Ruby, obéissait à ses signaux. Ducasse, le voyant si peu soutenu, eut, de l’avis des Anglais eux-mêmes, la courtoisie de ne pas faire feu. Benbow toutefois n’accepta point cette sorte de grâce, et lorsqu’à deux heures de l’après-midi l’escadre française, profitant de la brise du large, mit toutes voiles dessus, il s’opiniâtra à la suivre. Un peu retardés d’abord, les deux vaisseaux anglais firent feu de leurs sabords de chasse, et se placèrent bientôt par le travers du Saint-Louis et du Duc d’Orléans, L’escadre anglaise, malgré les signaux de Benbow, qui lui ordonnait de venir au feu, restait hors de portée, et semblait simplement