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intervention dans les affaires indigènes que Godeheu s’était vanté de faire prévaloir était une chimère. Les deux puissances rivales établies sur la côte de Coromandel, possédant l’une et l’autre des troupes éprouvées et des places fortes, sollicitées à toute heure par les princes indolens dont elles étaient entourées, ne pouvaient faire autrement que de prendre un parti dans les querelles intestines de la péninsule. Malgré la convention récente, les Anglais soutenaient Mahomed-Ali contre des vassaux rebelles ; Bussy conservait sa position à la cour du soubhadar. Une nouvelle rupture était imminente, lorsqu’au mois de mai 1756 la guerre éclata en Europe entre la France et l’Angleterre. En même temps que la nouvelle en arrivait à Pondichéry, le gouvernement métropolitain notifiait à de Leyrit l’intention de tenter un énergique effort pour rétablir l’influence française dans l’Inde et en expulser définitivement les Anglais. En attendant que l’expédition projetée parût dans les mers de l’Inde, de graves événemens survenaient dans le nord de la péninsule. À Hyderabad, une révolution de palais avait failli coûter la vie à Bussy et à ses compagnons ; toutefois, après quelques mois de disgrâce où il eut l’occasion de déployer la bravoure et l’habileté dont il était doué, ce brillant officier reprenait auprès du soubhadar le poste d’un favori et d’un ministre tout-puissant. Au Bengale, le nabab Seurajou-Doulah avait enlevé aux Anglais la factorerie de Kassimbazar et la ville de Calcutta ; mais Clive, non content d’avoir écrasé le nabab à la sanglante bataille de Plassy, avait repris Calcutta, enlevé Chandernagor aux Français, et se disposait à recommencer la lutte avec le prestige que lui donnaient le souvenir de ses anciens succès et les ressources de ces nouvelles conquêtes.

Depuis près d’un siècle que les Français avaient pris pied dans l’Inde, les gouvernemens successifs de Louis XIV et de Louis XV n’avaient vu dans ces colonies naissantes que des stations de commerce et des repaires d’aventuriers. Elles étaient régies par une compagnie financière dont les actionnaires étaient mus par le désir du lucre, elles étaient administrées par des employés de l’ordre civil chez qui les ministres ne s’inquiétaient guère de trouver des capacités diplomatiques ou militaires. Cependant, par la force des circonstances et grâce à deux ou trois gouverneurs de génie, les événemens dont cette région du globe était le théâtre s’imposaient tellement à l’attention publique que personne ne doutait plus que la côte de Coromandel ne fût à l’avenir l’un des principaux champs de bataille de la France et de l’Angleterre. Dupleix, à qui il n’avait manqué pour réussir que de recevoir le moindre secours de la métropole, Dupleix n’avait jamais été en état d’opposer un millier d’hommes à l’ennemi. On ne lui avait même jamais accordé quelques officiers de mérite. Les temps étaient changés. En 1756, le