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ayant à bord le nouveau gouverneur-général des établissemens français dans l’Inde, Godeheu, qui portait en outre une commission du roi pour rétablir la paix et vérifier la gestion de son prédécesseur. Ce Godeheu était un ancien membre du conseil de Chandernagor devenu l’un des directeurs de la compagnie depuis son retour en France. D’un naturel faux et envieux, il avait longtemps affiché une complète admiration pour Dupleix, auquel il avait de grandes obligations, et néanmoins il avait recherché et accepté la mission de le supplanter. Il annonçait en débarquant que plusieurs gros navires avec 2,000 hommes de troupes fraîches le suivaient à peu de jours de distance. On craignait en effet que Dupleix ne voulût résister à l’autorité du commissaire du roi. Toutefois Godeheu fut reçu avec toute la pompe et la déférence que comportait sa double dignité. Il prit tout de suite la direction des affaires ; pour commencer l’enquête dont on l’avait chargé, il mit sous le séquestre la fortune personnelle de son infortuné prédécesseur. Il est vrai de dire qu’il existait une singulière confusion entre la caisse particulière de Dupleix et le trésor de la compagnie. Passionné dans ses entreprises jusqu’au point de leur sacrifier sans mesure ses propres intérêts, Dupleix, qui possédait une fortune princière, payait au besoin de ses deniers la solde des troupes, et faisait d’énormes avances aux alliés de la compagnie. À l’époque où il fut rappelé en Europe, il lui était dû 7 ou 8 millions de francs par le trésor public et 22 millions par des princes indigènes. Lorsqu’il reparut en France, triste et ruiné, les ministres regrettaient déjà de l’avoir sacrifié à d’injustes rancunes. Ils lui laissèrent quelque temps l’espérance d’être remis à la tête des colonies qu’il avait gouvernées avec tant d’éclat, et qui dépérissaient depuis son retour ; mais à la fin ses réclamations incessantes, les mémoires justificatifs qu’il écrivait, impatientèrent le gouvernement frivole de Louis XV. Il mourut dix ans plus tard, pauvre et presque oublié, après avoir régi des millions d’hommes et avoir vu en rêve l’immense empire que les Anglais devaient, moins d’un siècle après, fonder sur le même terrain par les procédés dont il leur avait donné l’exemple.


IV.

Au moment où Dupleix s’éloignait pour la dernière fois des rivages de l’Inde, la politique française était plus que jamais en veine de réussir ; en réalité, le moindre détachement de la petite armée de 2,000 hommes que Godeheu amenait avec l’intention de ne s’en pas servir eût suffi pour assurer à jamais la suprématie de Pondichéry sur Madras. Le Deccan subissait l’ascendant de Bussy, les Mahrattes étaient devenus de fidèles alliés, le nabab de Mysore, Hyder-Ali,