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diversion fit lever le siège de Trichinopoly. L’année d’après, Law, qui était revenu devant cette ville, commit la sottise de se laisser envelopper par le major Lawrence, auquel il fut contraint de se rendre avec 800 soldats européens et 2,000 cipayes. Cette fois Chunder-Sahib tomba entre les mains de son compétiteur, qui le fît mettre à mort. Après chacun de ces désastres, Dupleix réparait avec une nouvelle énergie les fautes de ses ineptes généraux. Que n’avait-il Bussy pour l’opposer à Clive et à Lawrence ! mais rappeler Bussy, c’eût été renoncer à la position magnifique que cet officier avait conquise au cœur de la péninsule. Il eût été facile de terminer la lutte par un traité, puisque l’un des prétendans à la souveraineté du Carnatic avait disparu. Les Anglais s’y seraient prêtés volontiers ; ils demandaient seulement que Dupleix voulût bien reconnaître les droits de leur protégé, Mahomed-Ali ; ce point obtenu, ils ne se seraient pas inquiétés des avantages très réels que la compagnie française avait obtenus en d’autres parties de l’Inde. Par malheur, Dupleix était animé d’une haine violente contre ses adversaires ; le but qu’il poursuivait au fond était de les expulser de tous leurs établissemens, ou tout au moins de leur retirer tout contrôle sur les affaires indigènes. Il refusa la paix honorable qui lui était offerte.

En France, les ministres du roi aussi bien que les directeurs de la compagnie s’impatientaient de cette interminable guerre. Dupleix remportait-il quelque avantage, on l’en félicitait ; mais au premier revers on lui faisait entendre que la compagnie avait été instituée pour réaliser des bénéfices, non pour faire des conquêtes. Les actionnaires eussent préféré de gros dividendes à la gloire que faisait rejaillir sur eux la création d’un grand empire français en Asie. La compagnie des Indes dont le siège était à Londres ne désirait pas moins la paix que celle de Paris ; de part et d’autre on convenait qu’il serait sage de ne plus s’ingérer dans les affaires intérieures des souverains hindous, et l’on s’accordait des deux côtés, à Paris comme à Londres, à rendre Dupleix responsable de la prolongation des hostilités. C’était, disait-on, l’ambition du gouverneur de Pondichéry, son humeur belliqueuse, son esprit d’intrigue, qui maintenaient les deux compagnies rivales, mais non ennemies, en un état de guerre permanent. La plupart de ces accusations pouvaient être rétorquées avec presque autant de vérité contre le gouverneur Saunders, commandant de Madras ; mais Dupleix avait contre lui le défaut d’être un homme supérieur et, ce qui est pis encore, le crime de le faire sentir à ceux dont il dépendait. On était jaloux de lui ; sa perte fut résolue.

Le 1er août 1754, un navire mouillait en rade de Pondichéry,