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Les directeurs de la compagnie française, qui assistaient de loin à ce long conflit, n’aimaient pas la guerre, parce qu’il en résultait de grosses dépenses ; ils auraient préféré que le chef des établissemens français se livrât à de tranquilles et fructueuses opérations commerciales qui auraient produit de gros dividendes. Ainsi, lorsque Dupleix demandait des soldats, la métropole lui envoyait le rebut des casernes ; s’il réclamait des officiers habiles, on expédiait des coureurs d’aventures. D’Auteuil, qui s’était quelque peu distingué les années précédentes, était retenu par la goutte ; de La Touche, à qui l’on avait dû de beaux succès, revenait de l’Île de France avec un renfort de 700 hommes : le navire qui le portait, incendié en pleine mer, périt corps et biens. Un nouveau général venait d’arriver de France, c’était Law, un neveu du fameux financier ; mais il ne sut que perdre les troupes qui lui étaient confiées. Du côté des Anglais au contraire, on comptait plusieurs officiers de mérite, entre autres le major Lawrence, qui resta, sauf un court intervalle, à la tête de l’armée, et surtout le jeune Robert Clive, en qui l’on discernait déjà les grands talens dont il donna plus tard tant de preuves. Clive était venu aux Indes en qualité de commis de la compagnie anglaise vers 1744 ; il était à Madras lorsque cette ville fut prise par La Bourdonnaye. Au bruit des armes, il sentit naître sa vocation belliqueuse et troqua bientôt son emploi de commis contre un brevet d’enseigne. Il n’était encore que lieutenant ; mais il montrait une bravoure et une intelligence de la guerre que les chefs de la colonie anglaise ne méconnaissaient pas.

Pendant trois ans, Trichinopoly fut le centre des opérations stratégiques. Située à 150 kilomètres de la côte, à peu près par la latitude de Karikal, cette ville occupe le milieu d’une large plaine couverte de villages et de plantations, et commande le cours d’une rivière, le Cauveri. Elle était protégée à cette époque par deux enceintes flanquées de tours et des fossés profonds ; à l’intérieur de la forteresse se dressait un rocher de 100 mètres de haut, et sur la cime de ce rocher il y avait une pagode d’où les vigies observaient sans cesse les mouvemens de l’ennemi. C’était en somme une place qui pouvait être défendue longtemps avec une artillerie bien servie et une garnison disciplinée à l’européenne. Il y avait toujours à l’intérieur d’assez gros détachemens de troupes anglaises, la force principale de l’assiégeant consistait surtout dans les contingens que Dupleix fournissait avec générosité à Chunder-Sahib. Une première fois, Trichinopoly fut serrée de si près que la reddition semblait inévitable. Clive eut l’audace de se jeter avec une poignée d’hommes sur Arcot, la capitale du Carnatic, une cité de 100,000 âmes, et il s’y maintint avec tant de persévérance que cette