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à la fois de capacité et d’énergie. Certain jour, à la veille de livrer une grande bataille, d’Auteuil se vit abandonné par la moitié de ses soldats, qui se plaignaient de n’avoir pas obtenu une part suffisante dans le butin de la précédente victoire. Appuyés par un contingent anglais, les partisans de Nadir-Jung ramenèrent les Français jusque sous les murs de Pondichéry. Cette guerre était assez bizarre. Les deux principaux compétiteurs, Chunder-Sahib et Mahomed-Ali, disposaient chacun de 15 ou 20,000 soldats ; quelques centaines d’Européens, des Français d’un côté, des Anglais de l’autre, n’avaient qu’à paraître sur les champs de bataille pour donner une supériorité temporaire à l’un ou l’autre parti. Sur les derrières, Nadir-Jung, soubhadar du Deccan, tenait en réserve une innombrable armée ; seulement ce prince paresseux et débauché se tenait tranquille dans Arcot. Ajoutons que la lutte était confinée dans le triangle que forment les trois villes d’Arcot, Madras et Pondichéry, sur un espace qui mesure à peine 150 kilomètres dans sa plus grande dimension. Les petits souverains du voisinage, hindous, mahrattes ou mahométans, s’y mêlaient tour à tour au gré de leur ambition, et passaient d’un parti à l’autre suivant l’inspiration du moment. Dupleix s’avisa de faire attaquer la forteresse de Gingee, qui passait pour imprenable parmi les indigènes. Bussy, dont la réputation naissante allait grandir bien vite, emporta cette place d’assaut malgré les 12,000 hommes que Mahomed-Ali lui opposait. Alors Nadir-Jung se décida enfin à intervenir avec toutes ses forces. Ayant convoqué tous ses vassaux à Arcot, il entra en campagne avec 60,000 fantassins, 45,000 cavaliers, 700 éléphans et 300 pièces de canon. Le général français ne pouvait lui opposer que 800 Européens et 3,000 cipayes façonnés à l’européenne ; mais Dupleix avait bien pris ses mesures. La discorde était au camp des ennemis. Au jour de la bataille, quelques petits rajahs abandonnèrent la cause de Nadir-Jung, qui périt dans la mêlée. Mozufler-Jung, à qui revenait sans conteste le trône du Deccan, se proclama l’ami des Français, et leur promit toutes les faveurs qu’ils pouvaient désirer.

Au commencement de 1751, Dupleix avait enfin réussi à faire triompher les deux prétendans auxquels il s’était intéressé. Régner sur le Deccan, c’était être le maître de 35 millions de sujet. La reconnaissance de Mozufîer-Jung se traduisit par des avantages appréciables : il fit cadeau de 500,000 roupies aux troupes françaises qui l’avaient soutenu ; une somme d’égale importance fut versée dans les caisses de la compagnie en compensation des subsides qu’elle avait fournis ; les villes de Masulipatam, Yanaon, Karikal, avec des territoires de grande étendue, furent abandonnées en toute propriété à la compagnie. Les vainqueurs promettaient de se conduire dorénavant par les conseils et les avis de Dupleix. Ce fut en