Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce jour-là en effet, les positions respectives des colons et des souverains asiatiques se trouvèrent tout à coup renversées. Jusqu’alors Portugais et Hollandais, Anglais et Français ne s’étaient établis sur la côte de Coromandel qu’avec l’autorisation du nabab du Carnatic, dont ils s’avouaient les vassaux. On avait bien quelque raison de soupçonner que les soldats européens possédaient, grâce à leur armement et à leur discipline, une énorme supériorité sur les troupes de l’Asie ; mais les aventuriers qui venaient dans l’Hindoustan pour faire le commerce et non pour se battre n’avaient pas encore eu l’idée d’entrer en lutte contre les armées innombrables que l’empereur de Delhi ou ses lieutenans pouvaient mettre en ligne. La victoire de Saint-Thomé leur montra qu’il n’était plus besoin de trembler devant les indigènes. Ceux-ci commencèrent à reconnaître de leur côté que ces étrangers devaient plutôt être des maîtres que des sujets.

Une fois l’armée du nabab taillée en pièces, Dupleix devenait libre de traiter Madras à sa guise. Il n’eut rien de plus pressé que de rompre l’engagement pris par La Bourdonnaye pour la rançon de cette ville. Les historiens ont voulu voir un manque de foi dans cette rupture d’un traité déjà conclu et en partie exécuté. M. Malleson n’a pas de peine à démontrer que le gouverneur n’était tenu à rien par une convention conclue sans son aveu, bien plus, malgré son opposition. Dupleix déclara au gouverneur Morse et aux autres officiers civils ou militaires de la compagnie anglaise qu’ils étaient prisonniers de guerre, et il expulsa tous les habitans qui ne voulaient pas se soumettre à l’autorité française. Il ne crut pas avoir encore assez fait pour anéantir l’influence de ses adversaires dans le Carnatic. Il restait aux Anglais deux comptoirs sur la côte, le fort Saint-David et la ville de Cuddalore. Le rêve de Dupleix était de leur enlever ces dernières places de refuge afin de les exclure complètement. Par malheur, le commandant en chef des troupes de Pondichéry était alors le général de Bury, vieil officier incapable. Le capitaine Paradis, à qui revenait l’honneur des premiers succès, occupait un rang si secondaire qu’il était impossible de lui donner la direction de l’armée active. Les trois ou quatre vaisseaux qui étaient demeurés dans l’Inde obéissaient à l’amiral Dordelin, qui n’avait également ni audace ni activité. Plusieurs attaques dirigées contre Cuddalore avec toutes les forces disponibles de la garnison échouèrent. Quand la flotte anglaise, qui s’était réparée et renforcée au Bengale, apparut sur la côte de Coromandel au mois de mars 1747, Dupleix fut contraint de rappeler autour de Pondichéry tous les détachemens épars. Lorsque peu de temps après une seconde escadre, sous les ordres de l’amiral Boscawen, l’un des meilleurs marins de la Grande-Bretagne, arriva d’Europe avec d’importans