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après une étude attentive des documens authentiques, inflige un blâme. Pour en bien juger, il importe d’abord de se pénétrer de la situation relative de ces deux hommes. La Bourdonnaye était seul maître sur la flotte et seul responsable des opérations navales ; mais les instructions qu’il avait reçues lui prescrivaient de s’entendre avec Dupleix pour la défense de Pondichéry. Ce dernier, en qualité de gouverneur des établissemens de l’Inde, avait la haute main sur les opérations dont la côte de Coromandel devait être le théâtre. Il n’était, il est vrai, qu’un administrateur civil, le représentant d’une compagnie commerciale. Or les militaires ont à toute époque supporté avec impatience le contrôle d’un homme étranger à leur profession ; mais par compensation Dupleix s’appuyait de l’avis d’un conseil supérieur qui se composait des principales autorités de la colonie, et dans lequel l’élément militaire était convenablement représenté. L’amiral avait deux partis à prendre, ou se mettre à la recherche de l’escadre anglaise et la détruire dans un combat naval, ou s’emparer de Madras. Après quelques jours d’une croisière infructueuse, convaincu que les vaisseaux ennemis refusaient le combat, il résolut d’entreprendre le siège de Madras. Les arsenaux de Pondichéry donnèrent les canons de gros calibre qui manquaient à l’armement de la flotte ; la garnison de cette ville fournit des troupes de débarquement. La colonie anglaise était de son côté assez mal défendue ; le fort Saint-George, qui la protège, se trouvait en mauvais état, les soldats étaient peu nombreux ; ce qu’il y a de pis, le gouverneur Morse n’avait aucune velléité belliqueuse. Au bout de six jours, la place capitula sans que les assaillans eussent perdu un seul homme.

On ne doit pas perdre de vue que La Bourdonnaye était au service d’une compagnie de marchands qui agissait en temps de guerre à la façon des corsaires, et que d’ailleurs les usages du temps admettaient des compromis qui nous paraissent aujourd’hui contraires au droit des gens. Voici les termes de la capitulation : la garnison devenait prisonnière de guerre ; les officiers civils et employés de la compagnie anglaise étaient libres de se rendre où bon leur semblait, même en Europe, sur leur parole de ne pas porter les armes contre la France. Quant à la place elle-même, marchandises, approvisionnemens, navires, arsenaux et établissemens de tout genre qui s’y trouvaient étaient le butin du vainqueur ; le tout passait à l’actif de la compagnie victorieuse. Qu’allait-on faire de cette conquête ? Devait-on transformer Madras en colonie française ou bien en raser les murs, ou encore revendre cette ville moyennant rançon aux négocians anglais, qui ne demandaient pas mieux que de la racheter. Dupleix, en fin politique, avait déjà tranché la ques-