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pays lors de l’invasion des Mahrattes ; il était prévenu d’ailleurs en faveur du nabab Dupleix par ce titre honorifique qui rangeait le commandant français au nombre des officiers du Grand-Mogol. Tout bien considéré, il vint s’interposer entre les deux nations ennemies : il notifia au gouverneur de Madras, qui était trop faible et trop peu entreprenant pour passer outre, une défense formelle d’attaquer les établissemens français.

La situation allait changer bientôt par l’entrée en scène d’un homme qui, non moins que Dupleix, mérite d’être compté parmi les créateurs de notre puissance coloniale. Au commencement de 1746, Mahé de La Bourdonnaye arrivait de l’Île de France à la tête d’une nombreuse escadre. Rien de plus accidenté que la vie de ce vaillant navigateur. Embarqué à dix ans pour les mers du sud, lieutenant à vingt ans dans la flotte de la compagnie des Indes, il avait trouvé le loisir, tout en parcourant les mers, d’étudier tantôt la navigation avec ses compagnons de bord, tantôt les sciences exactes avec un jésuite, ou l’art des constructions avec un ingénieur du roi. En 1725, — il avait vingt-cinq ans, — nous le retrouvons commandant d’une frégate dans l’escadre qui, sous les ordres de M. de Pardailhan, s’empare de la petite ville de Maïhi sur la côte de Malabar. Il s’y conduisit avec tant de bravoure que l’amiral donna à la nouvelle conquête le nom du jeune capitaine. C’est la colonie de Mahé, qui appartient encore à la France. Après ce brillant fait d’armes, réduit par la paix à l’inactivité, La Bourdonnaye achète un navire et fait le commerce pour son compte sur les côtes de l’Arabie ; puis il passe au service du roi de Portugal, et dirige une expédition contre le Mozambique ; enfin il rentre en France et repart en 1735 pour les mers de l’Inde en qualité de commandant de l’Île de France et de Bourbon.

Ces deux îles avaient été peuplées, comme on sait, par des colons revenus ruinés de Madagascar, ainsi que par les déserteurs des navires qui s’y arrêtaient en se rendant aux Indes et par d’anciens pirates dégoûtés de leur métier. Le climat était sain, le sol fertile, ces établissement avaient prospéré. Ils s’administrèrent longtemps eux-mêmes, et l’on ne dit pas que leurs affaires en allassent plus mal. En 1723, Dumas en devint gouverneur. Douze ans plus tard, quand cet intelligent officier fut nommé directeur-général des colonies situées sur le continent, il eut pour successeur Mahé de La Bourdonnaye. La population était turbulente ; La Bourdonnaye sut lui inspirer du respect en même temps que de la confiance. La main-d’œuvre faisait défaut pour les cultures du sucre et du café, que l’on avait introduites ; il y suppléa par des esclaves noirs recueillis sur les côtes d’Afrique et de Madagascar. Les ports furent