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s’exerçaient à l’art si difficile et si noble de la parole, et s’initiaient à la carrière parlementaire. Cette antique institution, qui remonte à plus de mille ans, est encore aujourd’hui la meilleure préparation à la vie publique que puisse posséder un pays libre. C’est à cette école que se sont formés tous les hommes d’état, tous les orateurs de la Hongrie ; c’est par cet organe que l’amour de la liberté a pénétré jusque dans les derniers rangs du peuple. Un pays s’enorgueillira en vain de posséder dans sa capitale un parlement éclatant de lumières et d’éloquence : si dans les provinces il n’y a que des institutions locales privées de vie, d’action et d’indépendance, le régime parlementaire n’aura ni racines dans la nation ni garanties de durée.

Antoine Deák, le frère aîné de François, était député du comitat de Zala à la diète. Son instruction était étendue, son intelligence élevée, mais sa santé se trouvait ébranlée. Se sentant atteint du mal qui devait bientôt l’emporter, il donna sa démission. Comme ses collègues réunis à Presbourg déploraient sa retraite, il leur répondit : « Je vous enverrai à ma place un tout jeune homme qui a plus de savoir et de mérite dans son petit doigt que moi dans toute ma personne. » Il parlait de son frère François, qui fut élu, quoiqu’il n’eût que vingt-deux ans. C’était en 1825. Le jeune député fut parfaitement accueilli par les chefs de l’opposition. C’étaient dans la chambre haute Széchenyi, le grand comte, et le fameux baron Wesselényi, le géant de la Transylvanie, aussi renommé par sa force herculéenne que par l’audace et la fougue de sa parole tonnante, et dans la chambre basse Paul Nagy, l’orateur élégant qui avait fait entendre au sein de l’antique salle de Presbourg les accens de l’éloquence moderne. La première fois que Deák parla, Dionys Pázmándy, qui lui répliqua, le félicita sur son heureux début ; mais ce fut seulement dans la diète de 1832 à 1836 que Deák conquit, sans y avoir visé, la position de leader de l’opposition. À vrai dire, celle-ci manquait de chef. Paul Nagy, par trop de condescendance envers le gouvernement, avait perdu toute influence et était même devenu suspect ; Ragályi avait abandonné le parti du progrès, Kölcsei prononçait d’admirables discours, mais le tact politique lui faisait défaut ; Eugène Beöthy et Moriz Szentkirályi ne s’étaient pas encore fait connaître ; Bernäth et Pázmándy, malgré leur talent, manquaient d’autorité.

Les qualités qui portèrent naturellement Deák à la tête de son parti n’étaient point de celles qui frappent dès l’abord et commandent l’attention. Ses connaissances ne s’étendaient pas à des matières très variées ; mais il avait étudié à fond les annales de son pays, et surtout les précédens de son histoire parlementaire. Sa