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tartares convertis à la religion musulmane s’étaient emparés de la péninsule presque entière. Leur empereur régnait à Delhi sous le titre de Grand-Mogol. Les négocians qui s’étaient aventurés dans l’intérieur du pays faisaient des récits merveilleux du faste de ce souverain et des splendeurs de sa cour. Les provinces éloignées obéissaient à des soiibhadars, vassaux du Grand-Mogol. Le Deccan, vaste espace au centre de la péninsule, entre le Godaveri et la Cristnah, était l’une de ces provinces. Le Carnatic, qui s’étend le long de la côte de Coromandel entre les montagnes et la mer, était considéré comme une dépendance du Deccan ; mais à mesure que l’on s’éloignait de Delhi, l’autorité de l’empereur devenait de plus en plus faible, en sorte que le pouvoir impérial était assez mal assis dans le Deccan, et que le Carnatic appartenait en réalité à de petits potentats à peu près indépendans, les nababs d’Arcot, de Golconde, de Tanjore. Plus à l’ouest, au nord du Malabar, les confédérés mahrattes faisaient revivre les vestiges presque éteints de la nationalité hindoue. Sous la conduite d’un chef fameux, Sivadji, ils avaient créé un grand royaume aux dépens de l’empire du Grand-Mogol ; mais ils traitaient leurs conquêtes plutôt en brigands qu’en libérateurs. Au fond, il n’y avait nulle stabilité dans ces souverainetés éphémères, hindoues ou musulmanes, qui se disputaient le terrain avec acharnement.

Le seul moyen pour les colons de se faire respecter dans ce conflit de prétentions diverses consistait à être bien armés. Aussi, quoique la paix eût été conclue entre la France et la Hollande, Martin ne trouvait pas que sa petite garnison d’Européens suffit à protéger la ville naissante de Pondichéry. Il enrôla 300 indigènes qu’il instruisit et disciplina à l’européenne ; ce fut le germe des régimens de cipayes que les gouverneurs eurent plus tard à leur solde. En même temps, il leur faisait défricher le sol et construire des maisons, il entourait les établissemens français de fortifications improvisées, et il y attirait bon nombre de natifs autant par de bons traitemens que par l’appât du gain. Cet homme possédait toute la finesse nécessaire pour se maintenir en paix sur un terrain si menacé. Il avait réussi à se faire bien venir des petits souverains du Carnatic. Quand Sivadji envahit la province à la tête d’une nombreuse armée de ses irrésistibles Mahrattes, qui ravageaient tout sur leur passage, il sut encore s’arranger avec ce redoutable conquérant. Quinze ans après sa fondation, Pondichéry était une colonie prospère, quoiqu’un peu négligée par la compagnie, qui voulait bien en recevoir des marchandises, mais qui se souciait peu d’y envoyer de nouvelles recrues. Cependant la guerre éclata de nouveau entre la France et la Hollande. Il n’y avait à ce moment que 30 ou 40 Européens dans les murs de Pondichéry.