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Java, emmenant une partie des colons venus de France. Les directeurs prétendirent que Caron avait abusé de sa position pour amasser, au détriment de ses commettans, une fortune considérable. Il fut rappelé en Europe, et, comme il se doutait des persécutions qu’on lui réservait à son retour, il eut la prudence de se diriger sur Lisbonne ; mais en entrant dans le Tage son navire s’entr’ouvrit sur un rocher, il y périt avec tous ses compagnons.

C’était en 1673. Les Hollandais, furieux de s’être laissé surprendre, avaient déjà reconquis Trincomalé, qui ne leur avait guère été disputé ; puis ils vinrent mettre le siège devant Saint-Thomé avec le concours du roi de Golconde, sur le territoire de qui ce poste se trouvait. Ils annonçaient très haut l’intention de ne pas tolérer sur le continent de l’Inde des rivaux trop remuans et trop ambitieux. Après quelques mois de blocus, les Français, n’ayant plus de vivres, furent obligés de se rendre. La capitulation leur laissait la liberté de se retirer où bon leur plairait. Or peu de temps auparavant ils avaient acquis d’un chef indigène un assez vaste emplacement au bord de la mer, à l’embouchure de la rivière Coleroun, vers le 12e degré de latitude. À l’évacuation de Saint-Thomé, tandis que le gros de la troupe repartait pour Surate sur les navires de la compagnie, 60 hommes sous la conduite de François Martin vinrent se fixer sur le lieu de cette nouvelle acquisition. La petite colonie conservait un vaisseau, un matériel de quelque importance et une assez grosse somme d’argent. Ce François Martin qui la commandait avait commencé sa carrière au service de la compagnie hollandaise. On suppose qu’il y avait connu Caron, qui l’enrôla sous les drapeaux de la compagnie française. C’était un homme énergique, entreprenant et discret, qui avait le talent de plaire aux monarques indigènes et à ses supérieurs hiérarchiques.

Il allait prouver aussi qu’il avait le talent plus rare de savoir commander. La jeune colonie avait été baptisée du nom de Pondichéry. Les débuts en furent difficiles ; lorsque Martin vint s’y réfugier au mois d’avril 1674, les Hollandais étaient maîtres de la mer, on ne recevait rien de la métropole ; le lieu était désert, il y fallait tout créer. Par compensation, le site était facile à défendre, bien abrité contre les vents terribles de la mousson d’hiver, salubre et en relation commode avec les marchés de l’intérieur. À cette époque, l’Inde fournissait à l’Europe d’énormes quantités de tissus. Dès que Martin put écrire en France que Pondichéry était en mesure d’expédier d’amples approvisionnemens de marchandises, les directeurs de la compagnie s’applaudirent de posséder ce nouveau comptoir, et reprirent confiance en l’avenir de la petite colonie. Il est à propos de dire quel était alors l’état politique de l’Inde. Des conquérans