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venir doit être honoré. Les archives coloniales peuvent fournir non-seulement des récits pleins d’intérêt, mais encore les leçons que le passé a coutume de donner à ceux qui le consultent avec conscience et scrupule. C’est une étude à faire tout entière avec les ressources de l’érudition moderne. Un officier anglais de l’armée des Indes, le major Malleson, vient de l’entreprendre en partie. Avec l’aide des mémoires du temps et des archives locales, il a refait l’histoire de nos succès et de nos revers dans l’Hindoustan depuis les premières expéditions des marins français dans ces parages jusqu’à la prise de Pondichéry par les Anglais en 1761. Que le récit des événemens qui remplissent cette période n’ait pas été exposé d’une façon impartiale par les écrivains du siècle dernier, on ne s’en étonnera guère. Les contemporains, prévenus ou mal informés, se laissent entraîner aisément à juger les faits d’un point de vue trop exclusif. Aussi M. Malleson a-t-il trouvé moyen de rectifier, chemin faisant, plus d’une opinion erronée. Il a rendu aux personnages leur vrai caractère. Disons tout de suite que nos compatriotes sortent de cette épreuve à leur honneur. A voir en quelle estime l’auteur du livre que nous allons analyser tient les fondateurs des colonies rivales de celles de l’Angleterre, avec quelles couleurs il peint les grandes figures de Martin, de Dupleix et de Bussy, on ne dirait pas que cet ouvrage a été écrit par un étranger.


I.

De nos jours, on va de Paris à Madras en vingt-huit ou trente jours, et cette année même les journaux du 22 août nous donnaient, grâce au télégraphe électrique, des nouvelles de l’éclipsé observée trois jours auparavant à Masulipatam. Il y a deux cents ans, un voyage dans l’Inde n’exigeait pas moins de six ou huit mois pour l’aller et autant pour le retour. Il ne se rencontrait guère de gens assez audacieux pour braver les hasards d’une si longue traversée. Aussi les Portugais, après avoir découvert la route du cap de Bonne-Espérance, conservèrent-ils longtemps le monopole du commerce avec les contrées de l’extrême Orient, qui avait alors la réputation de receler des richesses merveilleuses. Ils en tiraient des aromates, des épices, des cotonnades, des tissus et bien des marchandises précieuses que l’on achetait à vil prix aux Indes pour les revendre en Europe avec un bénéfice considérable. Lisbonne resta longtemps l’entrepôt de ce grand trafic ; mais les Portugais furent toujours maladroits dans leurs relations avec les populations natives. Ils avaient établi leurs comptoirs par la force des armes, ils les conservaient par la terreur, et ne songeaient qu’à exploiter les malheu-