Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
DIANE.

On m’a jugée horriblement chez nous. Et pourtant, si nous ne nous soutenons pas les uns les autres, qui est-ce qui prendra notre défense?

HENRI.

Je ne conseillerais à personne de vous accuser devant moi.

DIANE.

Non! parce que vous avez l’esprit fier et l’âme haute; mais vous m’accusez en vous-même, et c’est ce qui me révolte au dernier point.

HENRI.

Si vous daignez attacher quelque valeur à mon respect, j’en suis heureux, madame, car il est sincèrement tout à vous.

DIANE.

Ne me parlez donc pas comme une fin de lettre ! Je vaux que l’on s’explique avec moi sur moi-même. Vous avez connu le baron; c’était un galant homme, comme on en voit encore quelques-uns, pas beaucoup. Son âge autorisait dans une certaine mesure la liberté de mes sentimens. J’ai mis mon point d’honneur à maintenir mes engagemens à la lettre, et je me suis entourée de barrières si hautes que vos amis les plus entreprenans n’ont pas même essayé de me faire déchoir.

HENRI.

C’est chose sue, et je vous jure que l’on vous a rendu pleine justice.

DIANE.

Sa mort m’a laissée seule et libre, car enfin ni mon père, ni mes sœurs, ni leurs maris, n’avaient le droit de contrôler les affections d’une veuve de vingt-six ans.

HENRI.

Ni moi non plus, d’accord.

DIANE.

M. de Sanlaville, qui n’avait pas mon âge, et qui sortait, je crois, de son collège ou de son séminaire, s’est épris d’une de ces passions enfantines dont l’exagération est sans danger pour vous, messieurs, mais où la sincérité d’une femme se laisse prendre quelquefois.

HENRI.

Souvent.

DIANE.

Je sais que l’on encourt un certain ridicuk lorsque l’on donne créance aux sermens, aux menaces, au désespoir, au suicide d’un petit monsieur qui s’amuse et qui nous récite à huis clos les pages les plus brûlantes de la Nouvelle Héloïse ou de Werther. Oui, c’est folie que d’y croire; mais celles qui n’y croient pas risquent un