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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


janissaires révoltés, et les Serbes ne laisseront pas échapper l’occasion de se jeter sur l’ennemi ; tantôt, au milieu de complications inextricables, trompé par de faux rapports, dominé par les scrupules des gardiens du Coran, le sultan abandonnera les Serbes, et les malheureux raïas retomberont sous un joug plus effroyable. En quelques mots, voilà de 1793 à 1803 le sort de la Serbie. On peut lire dans l’ouvrage de M. Ranke tous les détails de cette histoire ; qu’il me suffise de les résumer, le dénoûment nous appelle.

Il y avait déjà une dizaine d’années que duraient ces alternatives ou plutôt ces soubresauts de la servitude à la guerre et de la guerre à la servitude. Les janissaires avaient fini par l’emporter. Ce n’étaient même plus les janissaires d’autrefois, défendant leurs priviléges et voulant perpétuer les abus ; la lutte en avait fait de véritables tribus armées qui, sous la conduite de leurs chefs, prétendaient se rendre indépendantes des sultans, afin de piller à loisir les villes et les campagnes. Ce pouvoir que les deys avaient conquis sur les côtes d’Afrique, les dahis (c’est le même nom) se l’attribuaient déjà dans les contrées du Danube. Vainqueurs des pachas, qui représentaient du moins pour les raïas une certaine liberté relative, les dahis avaient fait main basse sur le territoire serbe. Rien de plus affreux que cette prise de possession. Qu’on se représente à toute heure et saus toutes les formes un immense brigandage. Piller, incendier, c’étaient les moindres cruautés de ces êtres féroces. L’homme de la glèbe était littéralement leur jouet. Que de fois une bande de cavaliers entrait au galop dans un village, forçait toutes les femmes à danser sur la place, puis emmenait les plus belles ! Séparés les uns des autres, égorgés au moindre signe de résistance, les Serbes étaient paralysés par la terreur. Un jour pourtant quelques-uns des knèzes de la montagne se réunissent dans un cloître et rédigent une supplique au sultan ; l’un d’entre eux se chargera de la porter à Constantinople. « Ô toi, notre tsar, lui disent-ils, sache que les dahis nous ont tout arraché, jusqu’à nos vêtemens, et que nous en sommes réduits à nous couvrir d’écorces d’arbre. Et les brigands ne sont point satisfaits ; il faut que notre âme aussi devienne leur proie, il faut qu’ils nous prennent notre religion et notre honneur. Pas un mari n’est assuré de garder sa femme, pas un père sa fille, pas un frère sa sœur. Couvens, églises, nos moines et nos popes, rien de sacré n’est à l’abri de leurs outrages. Si tu es encore notre tsar, lève-toi et délivre-nous des méchans. Si telle n’est point ta volonté, fais-nous-le savoir ; alors il ne nous restera plus qu’à nous enfuir tous dans les montagnes, ou à nous jeter la tête la première dans nos fleuves et nos torrens. » Ces clameurs furent entendues ; quelques-uns des pachas adversaires des dahis se trouvaient à Constantinople et purent appuyer les plaintes des raïas. Malheureuse-