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le fils aîné le remplace jusqu’au moment où la communauté trop nombreuse est contrainte de se partager. Le sentiment de la famille est si fort que le rôle de l’individu en bien des cas s’efface et disparaît. Chez ces peuples qui aiment tant à se mettre sous la tutelle de leurs patrons, jamais un des habitans de la maison, pas plus le père que le fils, ne songerait à sa propre fête ; on célèbre le saint de la famille, le patron de la tribu. Ne croyez pas cependant que cette amitié générale s’oppose aux amitiés particulières ; au sein de la communauté, et comme pour l’empêcher de se dissoudre, le sentiment de la fraternité se déploie avec une généreuse vigueur. Le frère est orgueilleux de sa sœur, la sœur jure par le nom de son frère. De deux frères, si l’un vient à mourir, l’autre est attaché par ses parens à la tombe où repose le mort jusqu’à ce qu’il ait fait choix d’un jeune homme du pays à qui l’enchaîneront ces mêmes liens que le trépas a rompus. Point de jeune Serbe sans un frère, c’est la vieille loi. Il leur faut à tous un soutien et une occasion d’être utile. De là aussi l’institution des probratimes, frères et sœurs d’adoption. Deux jeunes hommes qui se sont unis de la sorte s’appellent désormais frères en Dieu ; entre un jeune homme et une jeune fille, c’est aussi une amitié religieuse, une alliance plus sainte encore que l’affection des enfans nés de la même mère. Ces fiançailles spirituelles écartent absolument toute idée de mariage. On ne s’engage pas ainsi à la légère ; avant que la fraternité idéale avec ses devoirs et ses conditions soit irrévocablement conclue, il faut s’y préparer par une épreuve, j’allais dire par un noviciat d’une année.

Les alliances des probratimes ne regardent que les intéressés ; toute la famille au contraire prend part aux cérémonies du mariage. Les deux pères arrêtent les conventions. La jeune fille n’a pas besoin de dot ; introduire dans une maison une jeune femme qui aura de si sérieux devoirs à remplir, qui pourra faire tant de bien, dont la présence sera une bénédiction, quel profit pour la communauté ! C’est le père du jeune homme qui offre des présens, et parfois des présens de haut prix, au père de la jeune fille. Le jour, des noces, son frère la confie au cortége d’honneur envoyé par la famille où elle va prendre place. Elle arrive, des cérémonies patriarcales accompagnent les rites religieux. On lui met un enfant dans les bras ; elle lui fait sa toilette. On lui donne une quenouille ; elle en touche les murailles, ces murailles qui la verront si souvent occupée à son fuseau. On lui remet un pain, une cruche d’eau, une bouteille de vin ; elle les dispose sur la table, promettant ainsi à la maison une ménagère attentive. On place entre ses lèvres un morceau de sucre qui lui ferme la bouche ; ce signe veut dire que la