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toujours sourds lorsqu’ils ont les yeux bleus. Les porcs, les moutons, les chevaux, lorsqu’ils sont blancs ou seulement tachetés de blanc, se montrent beaucoup plus sensibles à l’action des poisons végétaux que lorsqu’ils sont de couleur noire ; on a même observé plusieurs cas où les parties de la peau qui étaient couvertes de poils blancs s’enflammèrent seules chez des chevaux qui avaient mangé des herbes vénéneuses. Des faits de cette nature, et M. Darwin en a recueilli, discuté et coordonné, sous des points de vue généraux, un nombre vraiment étonnant, montrent assez combien le sujet qu’il a abordé offre de difficultés et de points obscurs.

M. Darwin a fait une tentative pour réunir sous une même loi. et pour expliquer par une même synthèse tous les faits relatifs à l’hérédité et au retour miraculeux des caractères individuels. Il propose à titre « d’hypothèse provisoire, » la doctrine de la pangenèse, d’après laquelle chacun des atomes qui composent l’organisme se reproduit lui-même par une gemmule spéciale. Les ovules, les grains de pollen, la graine fécondée ou l’œuf, les bourgeons, seraient donc des agglomérations d’une multitude innombrable de germes émanant de tous les points de l’organisme. En faveur de cette hypothèse hardie, M. Darwin invoque d’abord l’indépendance fonctionnelle des élémens du corps, que beaucoup de physiologistes admettent aujourd’hui comme un fait démontré. Chaque organe a sa vie propre, son autonomie ; les cellules, les fibres, mènent chacune en quelque sorte une existence de parasite relativement au reste du corps. Pourquoi n’émettraient-elles pas des gemmules qui, entraînées dans la circulation, s’y rencontreraient avec d’autres germes libres pour former, en vertu d’affinités latentes, des agrégations, susceptible, de devenir des élémens reproducteurs ? Si l’on objecte à cette théorie le nombre de cellules qu’il faudrait réunir pour constituer une graine, M. Darwin répond qu’une morue peut produire de six à sept millions d’œufs ; un ascaride plus de soixante millions. En développant ces idées, M. Darwin arrive à rendre compte d’une foule de faits mystérieux. Les divers modes de reproduction asexuelle, — régénération, cicatrisation, génération alternante. — ne sont pour lui que des phénomènes d’agrégation des atomes-germes. La fécondation et le développement successif sont des faits du même ordre ; l’hérédité n’est qu’une forme de croissance. « Chaque animal, chaque plante peut être comparé à un terrain rempli de graines dont la plupart germent promptement, quelques-unes demeurent un certain temps à l’état dormant, tandis que d’autres périssent. »


R. RADAU.


L. BULOZ