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ESSAIS ET NOTICES

De la Variation des Animaux et des Plantes sous l’action de la Domestication, par Ch. Darwin, traduit par M. J.-J. Tome II, Moulinié. 1 vol. in-8 », Reinwald


Dans les sciences d’induction, une hypothèse générale qui relie et coordonne un grand nombre d’observations éparses peut rendre d’incontestables services, quand même elle reposerait sur une erreur. C’est comme un drapeau autour duquel viennent se grouper les faits. Une foule de détails qui, isolés, n’auraient point frappé l’attention prennent tout à coup de l’importance par le rapprochement avec d’autres cas semblables, et peu à peu la science dévoile le lien mystérieux qui existe entre des phénomènes en apparence hétérogènes. L’ingénieuse théorie de M. Darwin sur l’origine des espèces pourra ne pas triompher des objections nombreuses qu’elle a soulevées ; il restera toujours l’immense quantité de documens de toute sorte qui ont été mis au jour pour la soutenir, et la science fera son profit du mouvement d’idées vraiment extraordinaire dont cette conception a été le point de départ.

Le second volume du nouvel ouvrage de M. Darwin, dont la traduction vient de paraître, est consacré à l’examen des effets de l’hérédité et du croisement au point de vue de la variation des espèces. Cet examen conduit l’auteur à conclure que l’hérédité est la règle, le défaut d’hérédité l’exception ; mais, quelle que soit la puissance de cette influence occulte, elle permet l’apparition incessante de caractères nouveaux, qui à leur tour se transmettent de génération en génération. Ces déviations accidentelles, qu’elles soient insignifiantes, comme une nuance de couleur, une mèche de cheveux différente du reste de la chevelure, ou qu’elles constituent de véritables monstruosités, sont fortement héréditaires chez l’homme, les animaux inférieurs et les plantes ; elles deviennent la source de variations plus ou moins importantes par suite de la sélection naturelle ou artificielle. Toutefois on constate dans la manifestation de cette loi des allures capricieuses : nous ne citerons à cet égard que les curieux phénomènes du retour, ou atavisme, qui fait reparaître dans un animal les caractères depuis longtemps perdus de quelque ancêtre reculé. On sait d’ailleurs que certaines races et même certains individus sont doués d’une puissance de transmission tout à fait prépondérante, et impriment leur marque d’une manière indélébile sur toutes les lignées auxquelles leur sang s’est mêlé. La fameuse race bovine appelée courtes-cornes en est un exemple frappant.

La considération des faits relatifs au croisement conduit M. Darwin à formuler cette loi générale, que le croisement d’animaux et de plantes