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trois mois, qui n’a rien fait et qui a laissé tout faire. La vérité est que l’agitation est un peu partout en Espagne, et qu’elle peut demain dégénérer en conflit sanglant à Malaga ou même à Madrid comme à Cadix. Elle est en grande partie factice, nous le croyons, et le parti républicain, qui ne désavoue pas d’ailleurs son œuvre, n’a qu’une force apparente ; mais en définitive à cette agitation croissante qu’a donc à opposer le gouvernement ? Il manque par lui-même d’autorité morale, il n’a pas même l’autorité d’un dessein arrêté. Il joue le rôle d’un victorieux de hasard qui ne sait plus que faire de la victoire. Il n’est pas républicain, mais, en avouant ses préférences monarchiques, il ne sait à quel roi se vouer. Il cherche à tous les coins de l’horizon un candidat sur lequel il puisse se mettre d’accord. Les cortès cependant ne doivent se réunir que dans deux mois. Or d’ici là qu’arrivera-t-il ? La lutte est évidemment engagée aujourd’hui. De deux choses l’une : ou c’est le gouvernement qui restera maître de la position, et alors il sera obligé de se prononcer sans plus de retard, de choisir un candidat au trône, de donner enfin une direction à l’opinion, ou c’est la république qui triomphera, et dans ce cas il n’y aura plus qu’un souhait à faire, c’est que la république ne soit pas le plus court chemin pour revenir à l’absolutisme et à don Carlos, ce qui serait un étrange épilogue d’une révolution libérale.

Chose étrange cependant que l’Espagne en soit là encore une fois après toutes les épreuves qu’elle a déjà traversées, après s’être déchirée elle-même pendant sept ans dans une guerre civile pour élever un trône constitutionnel que le souffle d’une révolution nouvelle vient de renverser ! Cette histoire de la dernière guerre de succession, quoiqu’elle date de trente ans, est certes instructive même aujourd’hui, plus que jamais aujourd’hui ; elle a été racontée par un des hommes les mieux faits pour la connaître dans des Mémoires pour servir à l’histoire des sept premières années du règne d’Isabelle II. L’auteur est le marquis de Miraflorès, qui a été lui-même, comme ministre, comme ambassadeur, comme membre des assemblées, un des acteurs de cette période constitutionnelle. Quand on rapproche cette première époque du dénoûment qu’elle vient d’avoir, on se demande comment tant d’élémens de succès ont pu être perdus, comment cette monarchie a été misérablement ruinée, et par quelle succession d’erreurs a pu être amenée une situation où apparaît, avec des chances que les événemens peuvent diminuer ou accroître, le petit-fils de don Carlos, du prince vaincu en 1839 ! Et si l’on veut remonter plus haut encore dans l’histoire, voici un livre qui parle de l’Espagne du temps passé : c’est le recueil des Lettres de Mme de Villars, de la femme de l’ambassadeur de Louis XIV à la cour de Charles II. Les lettres de Mme de Villars sont d’une observation ingénieuse et vive. Cette cour de Charles II, que la brillante ambassadrice décrit, c’est le vide, la décrépitude même, et l’Espagne porte encore la marque de cette décadence d’où elle a tant de peine à se relever. ch. de mazade.