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croire cependant que tout soit facile. M. Disraeli, redevenu aujourd’hui chef de l’opposition à la tête d’une phalange compacte de conservateurs, peut harceler singulièrement le cabinet, et il a plus d’une ressource dans son imagination. Il a déclaré la guerre au plan de M. Gladstone pour, l’abolition de l’église d’Irlande ; mais il ne s’est pas interdit de trouver un autre biais. Dans sa dernière circulaire aux membres du parti conservateur avant sa retraite, il s’est déclaré prêt à « étudier la question avec soin et à favoriser un plan quelconque qui améliorerait la situation de l’église en Irlande, » ce qui veut dire peut-être qu’il se prépare à faire la part du feu pour mettre les libéraux dans l’embarras. Entre M. Disraeli et M. Gladstone, c’est un duel qui commence, et qui peut certes offrir un puissant intérêt.

M. de Bismarck vient de rentrer à Berlin en pleine session parlementaire, et il a retrouvé tout d’abord un peu de cette humeur goguenarde qui doit dénoter chez lui un parfait retour à la santé. Il a commencé par un de ces mots énigmatiques dont on est réduit à chercher le sens. Les appréhensions de guerre, selon lui, n’avaient pas été sans fondement l’été dernier, et elles n’auraient été écartées que par une circonstance inespérée. Voilà, ce nous semble, de quoi faire réfléchir et justifier ces frissons dont l’esprit public s’est trouvé périodiquement saisi depuis quelques mois. Il est vrai que le premier ministre du roi Guillaume ne s’est pas expliqué sur les incidens qui ont pu particulièrement motiver ces appréhensions de guerre, pas plus que sur la circonstance mystérieuse qui a eu la magique influence dont il a parlé. Provoqué à se prononcer sur les relations de la Prusse avec l’Autriche et même sur ses relations personnelles avec M. de Beust, que l’empereur d’Autriche vient de décorer du titre de comte, M. de Bismarck s’est tiré d’affaire par un bon mot au sujet des jeunes libertés autrichiennes. On peut croire toutefois que les deux comtes allemands aujourd’hui en présence ne professent pas l’un pour l’autre une amitié des plus tendres. Le retour de M. de Bismarck à Berlin est-il fait pour donner à la politique prussienne des allures plus vives ? C’est fort douteux en ce moment. Le chancelier de la confédération du nord ne paraît pas plus belliqueux que le roi Guillaume. La Prusse d’ailleurs a beaucoup, faire un peu partout, dans le Hanovre, dans la liesse ; elle a même passablement à faire chez elle, car, malgré la bonne humeur avec laquelle M. de Bismarck a parlé récemment de l’âge respectable des libertés prussiennes, ces libertés ne sont pas tellement assurées qu’elles soient à l’abri de toute atteinte, et que les ministres eux-mêmes ne les traitent quelquefois sans façon.

À quoi a-t-il tenu encore ces jours derniers qu’on ait échappé en Prusse à un nouveau conflit constitutionnel, comme celui que la guerre de 1866 a tranché par une victoire d’ambition nationale ? À bien peu de chose en vérité, quoique le prétexte parût léger. Il s’agissait simplement