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mêmes, qui ne prennent une signification plus grave que parce qu’ils se rattachent à tout un ensemble de choses, parce qu’ils se combinent avec tous les mouvemens de la politique européenne. C’est l’histoire d’hier et d’aujourd’hui, comme ce sera l’histoire de demain. Il ne faut cependant rien grossir, et, à tout prendre, ces nouveaux incidens de Bucharest et d’Athènes pourraient bien n’être que le retentissement lointain, désormais importun et inutile des complications qui ont failli éclater dans l’Occident. En d’autres termes, tant que l’Europe a été sous la menace d’une guerre prochaine, immédiate, il est bien clair que Roumains, Bulgares, Hellènes, se mettaient en mesure de saisir l’occasion : ils armaient comme tout le monde, ils attendaient avec une fiévreuse impatience le premier coup de canon, toujours prêt à retentir en Occident ; ils avaient à coup sûr aussi leurs alliés intéressés à exciter leurs espérances. La situation de l’Europe a paru s’améliorer pour le moment, et ces pays orientaux sont restés en quelque sorte à découvert avec leurs armemens, leurs agitations, leurs embarras et leurs querelles. La politique suivie dans les principautés par le gouvernement du prince Charles s’est trouvée prise au dépourvu, et a été obligée de s’arrêter sur place. La Grèce à son tour voit aujourd’hui la Turquie se retourner vers elle pour lui demander compte des encouragemens qu’elle n’a cessé de donner depuis deux ans à l’insurrection crétoise. Ainsi se produisent avec une apparence d’imprévu ces deux incidens, qui à un point de vue supérieur ont évidemment un intime lien, qui reprennent leur vrai sens à la lumière d’une situation générale, et dont l’un tout au moins garde encore sa gravité.

C’est à Bucharest que s’est passé le premier acte, le moins grave jusqu’ici, de cet imbroglio oriental, et naturellement c’est le ministère de M. Bratiano, principal auteur des embarras de la Roumanie, qui a payé les premiers frais d’une évolution devenue nécessaire. M. Jean Bratiano, le chef du cabinet moldo-valaque depuis plus d’un an, a certes montré une singulière ténacité et même une certaine habileté dans l’art de se maintenir au pouvoir en face d’adversaires acharnés et puissans. Il avait à vaincre bien des difficultés, bien des préventions ; il les a surmontées. Malheureusement il a fait tout ce qu’il fallait pour compromettre la politique du jeune état danubien, pour la rendre suspecte dans l’Occident. Par ses procédés d’administration intérieure, par les moyens qu’il a employés pour obtenir des chambres dévouées à sa cause, par les persécutions qu’il a exercées ou qu’il a laissé ses partisans exercer envers les Juifs, il a mis contre lui non-seulement ses adversaires naturels dans les principautés, mais encore jusqu’à un certain point une notable partie de l’opinion occidentale. La manière dont il a conduit particulièrement cette affaire des Juifs a été plus que violente, elle a été malhabile, et, en se faisant un appui équivoque des passions populaires auxquelles il