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la pastorale l’assiégeait ainsi dans ce petit vallon, l’un des plus aimables et des plus fleuris de la Suisse, il serait resté célèbre ; sa petite étoile n’aurait point si fort pâli au milieu des astres qui allaient s’élever dans le firmament germanique ; il aurait aussi prêté l’oreille aux chants populaires, et nous n’aurions pas en ce moment à montrer combien son idylle nationale s’éloigne des couleurs vraies et de la réalité.

En remontant sa bien-aimée rivière, il visitait donc tous les ans le champ de bataille de Naefels, les onze petites croix de pierre qui portent le millésime de 1388 et rappellent que le combat recommença onze fois, enfin le Rüti escarpé, contre lequel les Glaronnais s’adossèrent pour résister aux Autrichiens. De ce patriotique souvenir, qui était une bonne fortune pour un poète, voici le parti qu’il a tiré. Il suppose qu’un vieillard blessé gravissant le Rüti malgré sa jambe de bois rencontre un jeune chevrier et lui fait le récit de la bataille dont le théâtre est à leurs pieds. Fidèle aux descriptions que nous lisons dans les poètes classiques, le vieillard montre à son jeune interlocuteur de quel côté s’avançaient les ennemis en un bel ordre de bataille. Des milliers de lances brillaient au soleil, et l’on voyait entre autres deux cents cavaliers portant de magnifiques armures ; sur leurs casques flottaient des panaches, la terre tremblait sous les pas des chevaux. Du côté des Suisses combattaient à peine quelques centaines d’hommes. La désolation était partout. La fumée de Naefels livrée aux flammes remplissait la vallée, et annonçait aux populations le triste sort qui les attendait. Au pied de la montagne se tenait le chef de la petite armée suisse, là où deux sapins s’élèvent du sein des rochers. Le vieux soldat voit encore son général ralliant la troupe, agitant la bannière dans les airs, rappelant à lui les guerriers épars. Les piques brillantes, les panaches, la ville incendiée d’une part, de l’autre les deux sapins, le général, la bannière et le petit groupe des Suisses, tout cela est un tableau qui peut faire honneur au peintre ou au graveur : pour un poète, c’est une action qui ressemble à tous les combats possibles. Voyons maintenant la mise en scène de la vieille ballade, pour laquelle d’ailleurs nous ne réclamons d’autre mérite que celui de la vérité des couleurs.


« Le capitaine des seigneurs leur cria : Frappez à cœur-joie, et qu’il n’en échappe aucun de cette misérable troupe ! Le capitaine des hommes de Glaris cria au seigneur Dieu du ciel : Accorde-nous ton secours, viens à notre aide, seigneur Jésus !

« Là-dessus l’ennemi dit avec une orgueilleuse joie : Aujourd’hui l’on ne fait pas de prisonniers, aujourd’hui l’on passe tout au fil de l’épée !