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cieux, il ne faut pas oublier non plus qu’il y a aujourd’hui en Amérique et en Europe, à côté de nous, de grands états qui ont pour environ 10 milliards de papier-monnaie; ils ne resteront pas toujours dans cette situation. Ils supprimeront leur papier-monnaie et reprendront la monnaie métallique. Nous trouvons encore un débouché non moins important dans les relations de plus en plus actives que nous entretenons avec l’extrême Orient. Ces pays sont très avides de métaux précieux; ils sont loin d’en avoir tout ce qu’ils pourraient absorber, tout ce qu’ils absorberont un jour, lorsqu’ils seront plus riches. Par conséquent, s’il n’y a pas de limite assignable à la production des métaux précieux, il n’y en a pas non plus à la consommation qu’on peut en faire, et il faut espérer que les deux forces, mises en face l’une de l’autre, arriveront à se neutraliser, que la monnaie conservera à peu près sa valeur, et qu’il n’en résultera qu’un très grand stimulant pour le progrès de la richesse publique.

Si pourtant la dépréciation arrivait malgré tout, il ne faudrait pas s’en affliger, et l’on devrait se garder de croire qu’elle puisse apporter un trouble sérieux dans nos existences. D’abord elle serait lente et progressive, on aurait le temps de s’y préparer et de régler ses actes en conséquence. C’est ce qui est arrivé au XVIe siècle. Lorsque la révolution monétaire fut accomplie, chacun s’était accommodé du nouvel état de choses, et la société était plus riche que jamais. Une autre conséquence encore de la dépréciation, et celle-là est heureuse, c’est l’importance que prend le travail vis-à-vis de la fortune acquise. L’un gagne de la valeur et l’autre en perd, et par ce moyen l’égalité se fait entre les diverses classes de la société. Un de nos collaborateurs distingués, M. de Laveleye, a dit ici même[1] qu’au XVIe siècle l’abondance des métaux précieux avait contribué à l’élévation de la bourgeoisie, et qu’au XIXe l’abondance de l’or contribuerait à l’émancipation du peuple; rien n’est plus juste, et nous aimons mieux ce genre d’émancipation que celui que rêvent les ouvriers dans leurs congrès socialistes. Il a le mérite d’être conforme aux lois économiques et de n’amener aucun bouleversement.


VICTOR BONNET.

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1867.