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baissera d’autant plus qu’on ne pourra guère le mettre en réserve et attendre le moment où l’équilibre sera mieux établi entre l’offre et la demande. Il en sera de même de toute autre marchandise qui aura plus de durée, pourra se transporter plus commodément, mais qui ne sera pas aussi utile. Si elle existe en plus grande quantité que les besoins presque immédiats auxquels elle est destinée, elle se dépréciera nécessairement, car la mode peut changer, et avec elle l’utilité de cette marchandise disparaître. Les métaux précieux au contraire ont à la fois une utilité universelle et une durée qui dépasse celle de tout autre produit, ils sont de plus d’un transport commode et facile, ne sont pas soumis aux caprices de la mode, par conséquent tout leur est favorable. Supposons que la consommation de la France en céréales soit de 120 millions d’hectolitres; si une bonne récolte en fournit 140, et que les débouchés environnans aient à peu près ce qu’il leur faut, ce septième en plus de la consommation ordinaire peut faire baisser le prix d’un quart et peut-être d’un tiers; nous l’avons vu maintes fois. Par contre, dans les années de disette, il ne faut souvent qu’un déficit de 10 ou 12 millions d’hectolitres sur 120 pour faire monter les prix dans la même proportion. Non-seulement la monnaie métallique a un marché très étendu toujours ouvert, ce qui en rend le trop-plein plus difficile; mais ce marché n’a pas de limite appréciable, il peut s’étendre indéfiniment. Aujourd’hui les relations commerciales s’accomplissent avec 30 milliards de numéraire, demain il en faudra peut-être 40, et plus tard davantage, à mesure qu’on verra s’étendre ces mêmes relations. Il y a plus, et c’est là ce qui a trompé certains économistes : les métaux précieux ont fait naître eux-mêmes le développement d’affaires qui était destiné à les absorber, ils ont agi à la fois comme cause et comme effet. On l’a dit souvent, la puissance de production de l’homme est illimitée comme sa consommation; il ne s’agit que de lui fournir les instrumens nécessaires, et le premier de ces instrumens, c’est assurément celui qui augmente ses rapports avec ses semblables. Tel est le service que rend la monnaie métallique. Comme les chemins de fer, elle rapproche les produits des consommateurs, et en les rapprochant elle en multiplie le nombre. Vous avez du vin, des tissus, des produits manufacturés quelconques, avec lesquels vous voudriez acheter du blé, du coton, du sucre, des denrées coloniales; mais il se peut que ceux qui détiennent ces denrées n’aient pas besoin en ce moment de votre vin, de vos tissus. Ils ne les prendront pas en échange, et, s’ils les prennent, ce ne sera qu’à des conditions onéreuses pour vous; vous vous abstiendrez donc d’acheter, et les possesseurs de ces denrées ne les vendront eux-mêmes que lorsqu’ils auront rencontré la per-