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tions de la monnaie ou toute autre chose. Nous ne l’exportons pas pour rien, c’est un trafic analogue à celui qui consisterait à échanger du vin contre du fer ou de la soie. On n’a donc qu’à laisser aller les choses et attendre que l’équilibre se rétablisse naturellement. C’est ainsi que raisonnent ceux qui ne veulent voir dans les métaux précieux qu’une marchandise comme une autre. Cependant l’expérience nous apprend que dans ces momens de crise, lorsque l’argent s’en va et devient rare, la société en est affectée autrement que par une exportation extraordinaire de vin ou de tout autre produit. Si nous exportons plus de vin qu’il ne convient pour la consommation locale et qu’il renchérisse, la consommation du pays en sera peut-être un peu gênée, on boira moins de vin qu’à l’ordinaire; mais les producteurs de cette denrée se seront enrichis, ils deviendront des consommateurs sur une plus grande échelle des produits des autres industries, et somme toute le pays y aura plus gagné que perdu. L’inconvénient sera partiel, et l’avantage sera général. Il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de la monnaie : une crise arrive pour une raison ou pour une autre; nous sommes débiteurs à l’étranger au-delà de ce que nous pouvons acquitter par le jeu régulier des échanges commerciaux, il nous faut payer des différences en numéraire, et ces différences entament la provision qui est nécessaire au pays. On voit baisser l’encaisse des banques, l’or et l’argent sont fort recherchés et deviennent très chers. Qu’en résulte-t-il? y a-t-il un point où l’on puisse circonscrire le mal? Nullement; la vie industrielle et commerciale se trouve immédiatement atteinte partout. Il n’est personne qui ne souffre de la difficulté de se procurer de l’argent et des inconvéniens de le payer cher. La monnaie métallique est la base sur laquelle reposent toutes les transactions, le pivot autour duquel elles tournent. On peut bien, par des combinai- sons habiles, par des moyens de crédit, agrandir le cercle de ces transactions; mais on ne peut pas supprimer la base, ni l’affaiblir sensiblement sans qu’il y ait dommage, et grand dommage, pour toute la société.

Il y a même ceci à remarquer, c’est que la monnaie métallique devient d’autant plus nécessaire qu’il y a crise. Le crédit alors fait défaut, et chacun recherche ce qui donne le plus de solidité aux transactions, c’est-à-dire la monnaie. Si donc dans ces momens-là, s’en fiant à la maxime générale qu’après tout les produits s’échangent contre des produits, l’on ne se préoccupait pas tout particulièrement d’arrêter l’exportation du numéraire par des moyens énergiques, par ceux que permet la liberté, bien entendu, comme l’élévation rapide du taux de l’escompte, on ne tarderait pas à être livré aux plus grands embarras, aucune industrie n’y échapperait, et