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conseils et les menaces hardies n’ont pas manqué à ceux qui voulaient opprimer les peuples, peut-être même l’Occident encore aujourd’hui trouverait-il difficilement des sages qui osassent dire en face à leurs souverains ce qu’un Chinois osait dire au temps de Mencius et de Confucius.

Mencius se distingue surtout par la hardiesse de sa parole et la vive liberté de sa critique. Ce qui le caractérise, c’est l’esprit mêlé à l’audace. Un premier ministre lui annonçait l’intention de décharger les peuples, et promettait de diminuer chaque année les impôts vexatoires sans les supprimer entièrement. Mencius lui répondit par cette ingénieuse parabole. « Il y a un homme qui chaque jour prend les poules de son voisin. Quelqu’un lui dit : Ce que vous faites n’est pas honnête. Il répondit : Je voudrais bien me corriger peu à peu de ce vice ; chaque mois jusqu’à l’année prochaine, je ne prendrai qu’une poule, et ensuite je m’abstiendrai complètement de voler. » Dans une autre occasion, Meng-tseu, discutant avec le roi de Tsi, lui demande : « Que doit-on faire d’un ami qui a mal administré les affaires dont on l’a chargé ? — Rompre avec lui, dit le roi. — Et d’un magistrat qui ne remplit pas bien ses fonctions ? — Le destituer, dit le roi. — Et si les provinces sont mal gouvernées, que faudra-t-il faire ? » Le roi, feignant de ne pas comprendre, regarda à droite et à gauche, et parla d’autre chose. — Ainsi font les gouvernemens quand on leur dit leurs vérités.

C’était, à ce qu’il semble, une tradition dans l’école de Confucius de parler aux princes un langage fier et hardi. Moun-koung demandait à Tseusse, petit-fils de Confucius, comment un prince devait contracter amitié avec un lettré. « En le servant et en l’honorant, » dit le philosophe. Meng-tseu ne craignait pas davantage de faire entendre au roi des vérités désagréables. Celui-ci l’interrogeait sur les premiers ministres. « Si le roi a commis une faute, lui dit-il, ils lui font des remontrances. S’il retombe dans cette faute, ils lui ôtent son pouvoir. » À ces paroles, le roi change de couleur et paraît se repentir de sa question. Mencius s’en aperçoit, et il ajoute avec un noble mélange de respect et de fierté : « Que le roi ne trouve pas mes paroles extraordinaires. Le roi a interrogé un sujet, le sujet n’a pas osé lui répondre contrairement à la droiture et à la vérité. »

On est étonné de rencontrer dans un philosophe chinois des doctrines politiques fort analogues à celles que nous appelons en Occident des doctrines libérales. Comment explique-t-il le droit de souveraineté ? Par une sorte d’accord entre le ciel et le peuple. Ce n’est pas l’empereur lui-même qui nomme son successeur, il ne peut que le présenter à l’acceptation du ciel et du peuple. Or le ciel n’exprime pas sa volonté par des paroles, il l’exprime par