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autres castes; où donc est la différence? » Dans un traité plus moderne, l’auteur s’exprime plus hardiment encore. « L’unumbora et le parasa[1] produisent des fruits qui naissent des branches, de la tige, des articulations et des racines, et cependant ces fruits ne sont pas distincts les uns des autres, et l’on ne peut pas dire : Ceci est le fruit brahmane, cela le fruit kchatrya, celui-ci le vaicya, celui-là le soudra, car tous sont des mêmes arbres. Il n’y a donc pas quatre classes, il n’y en a qu’une seule. »

Citons encore cette charmante légende. « Un jour, Ananda, le serviteur de Çakia-Mouni, rencontre une jeune fille de la tribu des tchandalas qui puisait de l’eau. Il lui demanda à boire; mais la jeune fille, craignant de le souiller par son contact, l’avertit qu’elle est née dans la caste matanga, et qu’il ne lui est pas permis d’approcher d’un religieux. — Je ne te demande, ma sœur, ni ta caste ni ta famille. Je te demande de l’eau, si tu peux m’en donner. — La jeune fille se prit d’amour pour Ananda, puis elle se convertit et devint religieuse bouddhiste[2].

Les analogies de la morale bouddhique et de la morale chrétienne sont très nombreuses. Comme le christianisme, le bouddhisme est une doctrine de consolation. « Celui qui cherche un refuge auprès de Bouddha, celui-là connaît le meilleur des asiles, le meilleur refuge; dès qu’il y est parvenu, il est délivré de toutes les douleurs. » Ainsi Jésus-Christ dit dans l’Évangile : « Venez à moi, vous tous qui ployez sous le joug, je vous ranimerai. » Le bouddhisme est une doctrine d’humilité. « Vivez, ô religieux, dit le Bouddha, en cachant vos bonnes œuvres et en montrant vos péchés. » De même l’Évangile : « Lorsque vous jeûnez, ne soyez pas triste comme les hypocrites, parfumez votre tête et votre face. » Le bouddhisme enseigne la chasteté, la charité, la piété, le pardon des offenses, comme le prouvent un grand nombre de légendes, entre lesquelles nous en choisirons deux dont la beauté poétique égale la beauté morale.

Une courtisane célèbre par ses charmes, nommée Vasadatta, se prend d’amour pour le fils d’un jeune marchand, pieux et pur, et lui envoie sa suivante pour l’inviter à venir chez elle. « Ma sœur, lui fit dire le jeune homme, il n’est pas temps pour moi de te voir. » Elle lui renvoie sa servante une seconde fois. « Ma sœur, dit encore le jeune homme, il n’est pas temps pour moi de te voir. » Cependant la courtisane vient à commettre un crime, et par ordre du roi elle est affreusement mutilée; elle devient horrible et informe, elle est abandonnée dans un cimetière. C’est alors le moment que le

  1. Nom d’arbres.
  2. Voyez encore, dans E. Burnouf, p. 375, le discours du roi Açoka, le Constantin bouddhique.