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surtout sur les différences. Il est en particulier deux points principaux qui semblent distinguer la morale indienne de la nôtre : l’abus du mysticisme et le régime des castes. Il est facile d’établir que sur ces deux points les différences de l’Occident et de l’Orient sont plus apparentes que réelles.

L’ascétisme contemplatif est en effet l’un des traits caractéristiques de la morale indienne. Pour les Indiens, dit-on, le souverain bien, c’est la contemplation; pour nous, c’est l’action. Faut-il conclure de là qu’il y a une morale de l’Orient et une morale de l’Occident? En aucune façon. Le conflit entre la contemplation et l’action n’existe pas seulement entre l’Orient et l’Occident, il n’est pas seulement un conflit de race et de climat; il a existé dans l’Occident même entre les mystiques et les moralistes, entre les partisans de la vie monastique et les défenseurs de la vie active et politique, enfin, dans le clergé même, entre les séculiers et les réguliers. Ce conflit a sa raison dans la nature humaine elle-même, pour qui le souverain bien paraît être tantôt dans le travail et dans l’action, tantôt dans le repos. N’oublions pas qu’Aristote, le plus Grec des Grecs et le plus pratique des philosophes, place dans la vie contemplative le plus haut et le plus parfait bonheur.

D’un autre côté, il ne faut pas croire que les sages de l’Inde, malgré les propensions naturelles de leur race, s’abandonnent sans aucune réserve à l’entraînement de la vie contemplative, et n’en aperçoivent pas les abus. Aussi voit-on, par exemple, les lois de Manou n’autoriser le chef de famille à se livrer à la vie solitaire « que lorsqu’il a vu ses cheveux blanchir, et qu’il a sous les yeux les fils de ses fils. » Dans le même livre, la dévotion est mise après la morale. « Que le sage, est-il dit, observe les devoirs moraux avec plus d’attention encore que les devoirs pieux; celui qui néglige les devoirs moraux déchoit même lorsqu’il observe tous les devoirs pieux. » Nous voyons encore par l’un des plus beaux monumens de la philosophie indienne, par la Bhagavad-Gita, que le