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Magellan, dit Malouet, ces hommes si différens de tempérament, de figure, de caractère, les uns doux, les autres féroces, tous s’accordent en un seul point, l’amour de la vie sauvage, la résistance à la civilisation. » Voudrait-on voir là une preuve de la diversité essentielle des races? Soit, les races ont des instincts différens, cela n’est pas douteux; mais la civilisation et la moralité sont deux choses fort distinctes. « Rien n’est plus frappant pour un Européen, ajoute Malouet, que leur indifférence, leur éloignement pour nos arts, notre luxe, nos jouissances ;… nous les avons appelés dans nos villes pour les rendre témoins de notre bonheur : ils n’en ont pas été séduits;... nos maisons, nos bijoux, nos vêtemens, nos repas, rien de tout cela ne les tente; notre police despotique ou servile les épouvante. Un gouverneur, un magistrat européen se mêlant d’ordonner les détails de la vie civile leur paraît un sultan, et nous un troupeau d’esclaves. » Supposez un Indien auquel un magistrat vient dire qu’il ne doit pas construire sa maison d’un pied plus avant que celle de son voisin, qu’il ne doit pas ramasser un gibier qu’il vient de tuer, parce qu’il est tombé de l’autre côté d’une haie ou d’un sentier; ces conséquences compliquées et éloignées des principes sur lesquels repose la vie civile doivent certainement lui apparaître comme des actes d’odieux et absurde despotisme. Fenimore Cooper, dans son personnage du vieux trappeur, a admirablement peint cette passion de la vie indépendante et la résistance de l’homme de la nature aux empiétemens de la vie civile. Je veux bien que ces pauvres Indiens se trompent; mais n’est-ce pas se tromper noblement que de préférer la vie libre et indépendante des grands bois à la politesse raffinée de nos grandes villes? L’amour de l’indépendance est une des meilleures passions de l’homme, et tout l’effort de notre science politique est de trouver les moyens de concilier les avantages de la vie civile avec les droits de la liberté naturelle. Ceux qui sacrifient les premiers aux seconds ont-ils donc tellement tort?

Cette vie indépendante des Indiens de la Guyane n’est pas du reste cet état de nature rêvé par Rousseau et les philosophes du XVIIIe siècle. « Ils ont un état de société, ils vivent en familles, ils ont une association nationale, un magistrat ou chef qui les représente dans leurs relations de voisinage, et qui les commande à la guerre. Ils n’ont pas besoin de code civil, n’ayant ni procès, ni terres; mais leurs usages, les coutumes de leurs pères, sont religieusement observés. Cette égalité, que nous avons si douloureusement cherchée, ils l’ont trouvée; ils la maintiennent sans effort... Ils sont enfin, dit Malouet, dans un état de société naturelle, tandis que nous sommes parvenus à un état de société politique. » Le même observateur nous atteste encore qu’il y a moins d’immoralité