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la différence qui existe entre le nègre et l’Européen dans la conformation des traits et dans la couleur de la peau, il n’y en a aucune dans les douces affections que la nature inspire aux uns et aux autres. » La tendresse maternelle amène à sa suite la tendresse filiale. L’une des paroles que l’on entend le plus fréquemment dans cette partie de l’Afrique est celle-ci : « frappez-moi, mais n’insultez pas ma mère. » Le plus grand affront qu’on puisse faire à un nègre, c’est de parler de sa mère avec mépris. Mungo-Park raconte que, s’étant égaré, il reçut l’hospitalité dans une chaumière ; pendant qu’il se reposait sur une natte, la maîtresse de la maison avec ses servantes se mit à improviser un chant dont le sujet était précisément le malheureux étranger. Le voici : « Les vents rugissaient et la pluie tombait. — Le pauvre homme blanc faible et fatigué vint s’asseoir sous notre arbre. — Il n’a point de mère pour lui apporter du lait, point de femme pour moudre son grain. » — Et le chœur répétait : « Ayons pitié de l’homme blanc, il n’a point de mère. »

Cette race noire, que l’on nous dépeint comme menteuse (et elle le devient dans l’esclavage), n’estime rien plus que la sincérité. Une mère avait perdu son fils dans un combat. Elle suivit son corps en sanglotant, et s’écriait : « Jamais, non jamais, il n’a menti ! » Est-il rien de plus beau que ce cri maternel qui n’est pas le regret animal de la lionne ou de la louve dont on a tué les petits, mais qui est un regret vraiment moral ? Ce n’est pas seulement le fils qu’elle regrettait, c’est son âme et sa vertu ! Mais j’en veux finir avec le témoignage de Mungo-Park par une légende ou une histoire[1] qui montre que les populations noires, même celles qui ont résisté au mahométisme, sont capables d’atteindre au plus haut degré d’élévation morale. Un roi maure voulut imposer par la force la religion mahométane à un des rois nègres appelé le Damel. De la guerre entre les deux princes. Celui-ci est victorieux ; on lui amène son ennemi enchaîné. — Abdul-Kader, lui dit-il, si le hasard de la guerre vous eût mis à ma place et moi à la vôtre, comment m’auriez-vous traité ? — Je vous aurais percé le cœur de ma lance, et c’est le sort qui m’attend. — Non, répondit le roi noir, votre mort ne rebâtirait pas mes villes et ne rendrait pas la vie à mes sujets ; je ne vous tuerai donc pas de sang-froid, mais je vous retiendrai comme esclave jusqu’à ce que je m’aperçoive que votre présence dans votre royaume n’est plus dangereuse pour vos voisins. — En effet, Abdul-Kader travailla comme esclave pendant

  1. Mungo-Park atteste que le fait lui a été donné comme historique et comme récent ; mais, même à titre de légende, il est caractéristique.