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un peuple qui vit, non des productions spontanées de la terre, mais de celles qu’il lui arrache par la culture? Peu de gens travaillent plus énergiquement quand il le faut que les Mandingues[1]; mais, n’ayant pas l’occasion de tirer parti des produits superflus de leur travail, ils se contentent de cultiver autant de terre qu’il leur en faut pour subsister. » Dans son intéressant abrégé des découvertes dont le Niger et l’Afrique centrale ont été l’objet, M. F. Delanoye[2] cite plusieurs exemples remarquables de l’énergie et de l’activité des nègres. On voit chaque année des bandes de noirs descendre de l’intérieur de l’Afrique jusqu’aux comptoirs européens de la Sénégambie, s’y livrer avec ardeur à la culture des arachides, puis, une fois la récolte faite, en reporter le produit à leurs familles, à deux ou trois cents lieues de là, et revenir l’année suivante. D’autres s’engagent comme pilotes sur les bords des côtes, et après quelques années d’une vie de labeurs inouis retournent dans leur pays pour y vivre à leur aise. Voilà la paresse des nègres lorsqu’ils n’ont pas été abrutis par la servitude.

Un des penchans le plus souvent reprochés encore aux populations à demi sauvages est le penchant au vol. Mungo-Park, malgré sa sympathie pour ces populations, est obligé de reconnaître que ses amis noirs avaient un penchant irrésistible à lui voler tout ce qu’il possédait; mais il ajoute : « A cet égard, il n’y a aucun moyen de les justifier, car eux-mêmes regardent le vol comme un crime, et il faut observer qu’ils ne s’en rendent pas habituellement coupables les uns envers les autres. » Ainsi, chez ces peuplades pillardes, le vol est bien un crime; seulement elles ne savent pas résister à la tentation. N’en serait-il pas quelquefois de même chez les civilisés?

Pour ce qui est des pillages ou exactions dont les voyageurs sont victimes, non plus de la part des particuliers, mais de la part des gouvernemens, des princes, des petits potentats dont ils viennent témérairement visiter les pays, j’ai eu souvent l’occasion de faire une réflexion qui me paraît devoir atténuer notre blâme. Si l’on en croit tel de ces voyageurs, à peine a-t-il mis le pied dans un de ces états barbares que le voilà déjà dépouillé de presque tout ce qu’il possède. Cependant il repart; un nouveau souverain se présente, il est encore une fois dépouillé, et cela continue ainsi pendant tout le le voyage. On se demande par quel miracle ses bagages, mille fois pillés, renaissent sans cesse pour autoriser de nouvelles exactions, et l’on est tenté de conclure que le voyageur a bien pu être ex-

  1. L’une des grandes subdivisions de la race noire. On les appelle aussi les Malinkès.
  2. Le Niger, 1858.