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sitions qui nous sont fournies sur les mœurs des races inférieures sont en général très défavorables, et semblent autoriser les conséquences énoncées plus haut. Cependant une étude plus attentive des récits des voyageurs ferait, je crois, pencher la balance, et nous montrerait chez tous les peuples le bien et le mal constamment mêlés comme chez nous; je ne doute pas qu’un examen désintéressé ne réussît à prouver que les idées morales des peuples sauvages ou à demi sauvages sont supérieures à celles que nous leur supposons généralement. Nous ne pouvons ici que détacher quelques traits d’un tableau qui est à faire. Cette esquisse, tracée librement et au hasard de nos lectures, sera l’indication de ce que pourrait être une étude plus systématique et plus rigoureuse. Un philosophe anglais, M. Bain, dont nous parlerons plus loin, dit avec raison que l’on ne pourra rien affirmer de précis sur l’universalité des notions morales tant qu’on n’aura pas un catalogue exact des mœurs et des opinions de toutes les races humaines. Nous n’avons pas la prétention de donner ici ce catalogue, nous ne voulons qu’en faire sentir la nécessité.

Les populations du Soudan et de la Sénégambie ne sont pas, à proprement parler, des populations sauvages; elles tiennent le milieu entre l’état sauvage et l’état civilisé, elles sont agricoles et commerçantes, ce qui est déjà un pas vers la civilisation; elles ont une police assez passable, et même leurs rapports avec les Arabes et les Maures leur ont donné une sorte de culture religieuse et intellectuelle. Cependant elles appartiennent à la race noire, cette race soi-disant déshéritée de toute espèce de sentiment moral, et qui s’élève à peine au-dessus de la brute, au dire de ceux qui ne l’ont observée qu’à l’état de servitude. Ce n’est pas l’opinion de ceux qui l’ont étudiée chez elle, dans son propre pays : on peut à cet égard s’en rapporter au témoignage de deux des plus grands voyageurs des temps modernes, Mungo-Park et le Dr Livingstone. Le premier a étudié la race nègre à son état le plus élevé, le second au contraire dans une condition de civilisation tout à fait inférieure et à peine au-dessus de l’état de nature. L’un et l’autre sont d’accord pour nous dire que la race noire a été calomniée, et qu’elle l’a été au profit d’une plaie et d’une lèpre qui est la principale cause de la dégradation même dont on s’autorise pour la justifier.

Rien de plus fréquent et de plus répandu que l’accusation de paresse et d’indolence dirigée contre les nègres : cette accusation a été longtemps et est encore l’argument favori des partisans de l’esclavage ou de ceux qui le regrettent. Mungo-Park s’inscrit en faux contre ce reproche. « Sans doute, dit-il, la nature du climat est peu favorable à une grande activité; mais peut-on appeler indolent