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et l’indulgence des blancs. Il n’y a que la force qui leur impose. Le fouet est la seule punition efficace... Ils digèrent, comme des bêtes fauves. Un autre dit encore : « J’ai souvent essayé de jeter quelques regards dans l’âme des nègres. Ce fut toujours peine perdue. Il est clair que le nègre est doué de peu d’intelligence, et que toutes ses pensées et ses actions portent le cachet du dernier degré de la culture humaine. » Tels sont les témoignages (et nous abrégeons) que fait valoir M. Buchner contre l’universalité des Idées morales.

En comparant la fortune de l’argument sceptique depuis Montaigne jusqu’à nos jours, on voit que, s’il n’a pas beaucoup changé quant au fond, il s’est développé dans le détail. Les faits, les exemples sont bien plus nombreux, et l’expérience chaque jour en augmente le nombre. Pour parler le langage de l’école, la majeure de l’argument est toujours la même; mais la mineure est devenue un vaste champ de bataille qui s’élargit de jour en jour. En un mot, M. Littré nous dirait que le problème est entré dans sa phase positive. Au lieu de se borner à deux ou trois assertions toujours les mêmes, on commence à pouvoir s’appuyer sur les résultats d’une science, nouvelle sans doute et encore très conjecturale, mais qui tend à se constituer, la science anthropologique.

L’anthropologie est en effet une science nouvelle; fondée au XVIIIe siècle par de grands naturalistes, Buffon, Blumenbach, Prichard, elle n’est, à proprement parler, qu’un démembrement de l’histoire naturelle. Les contours en sont encore mal délimités; elle touche à la physiologie, à la psychologie, à l’histoire, à la philologie, à la géographie, ou du moins elle est obligée de se servir de tous ces élémens; néanmoins elle a aussi son domaine distinct, ses problèmes propres; elle a ses chaires d’enseignement, sa société[1], ses bulletins; enfin, dans cette vaste révision des sciences humaines entreprise l’année dernière sous les auspices du ministre de l’instruction publique, l’anthropologie a eu son drapeau séparé, et le Rapport sur les progrès de l’anthropologie, rédigé par M. de Quatrefages, n’est pas un des moins intéressans de cette remarquable collection.

L’anthropologie, selon M. de Quatrefages, est la science de l’espèce humaine considérée dans ses caractères physiques et moraux. Elle n’a pas pour objet l’homme individuel, qui est étudié d’une part par la physiologie, de l’autre par la psychologie; son objet propre, c’est l’homme collectif, l’humanité telle qu’elle se manifeste

  1. La Société d’anthropologie publie annuellement un bulletin de ses intéressantes discussions.