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naux se meuvent autour du héros principal. Il y a un vieux loup de mer hollandais, le capitaine Pulver, jadis victime de l’ancien pirate, et qui est parfaitement amusant avec ses tics et ses citations, tombant régulièrement à faux, des paroles qu’il a entendu dire à d’autres; il y a la tante Létie, vieille fille orthodoxe du vieux style, bonne femme qui n’a d’autre tort que de fourrer partout son patois de Chanaan, et la tante van Bempden, sa sœur et son antipode, grosse matrone enjouée qui a de la vie pour quatre, toujours en train, toujours en action. Il y a la charmante sœur Suzanne, la plus spirituelle taquine qui se puisse imaginer, et la mélancolique figure d’Amélia, fille de l’ex-forban, belle méridionale à qui la destinée est dure, et qui passe, résignée et fière, à travers ce monde fermé pour elle, non peut-être sans y laisser son cœur. Les scènes d’amour entre Ferdinand et sa fiancée, leurs brouilles et leurs raccommodemens sont touchés d’un pinceau délicat et sûr, car van Lennep excelle dans la peinture de l’amour jeune et honnête. Le magistrat Huyck est aussi un curieux caractère, un spécimen d’ancien patricien, grave, compassé, passablement pédant, mêlant les classiques latins à toutes ses conversations, mais avec tout cela magistrat intègre, plein d’honneur et de probité, et qui, s’il comprend ses devoirs d’une manière un peu étroite, se ferait hacher plutôt que d’en trahir un seul. N’oublions pas enfin le poète famélique Helding, échantillon d’une classe qui parait avoir été assez nombreuse de littérateurs et de poètes vivotant aux dépens de la bourgeoisie, dont ils mettaient en vers pompeux les moindres anniversaires.

Van Lennep ne se borne pas à faire du roman historique dans les meilleures conditions. Il sait rendre sa composition vivante. Causeur très spirituel lui-même, il fait causer ses personnages admirablement et avec un naturel parfait. Il s’identifie avec eux. Surtout van Lennep est peintre, et il existe un rapport incontestable entre ses tableaux écrits et les toiles des maîtres qui ont illustré sa patrie. Je ne sache pas qu’il s’en soit jamais douté lui-même, ni qu’on le lui ait jamais dit. C’est peut-être un de ces rapprochemens qu’un étranger saisit plus vite qu’un homme du pays. J’avoue, pour ma part, en être très frappé. Tantôt c’est une scène d’intérieur fortement éclairée sur un point, un Schalken, un G. Dow, tantôt c’est une exubérance de mouvement et de vie qui rappelle les kermesses de Teniers ou les batailles de Wouwerman. Les paysages font rêver de Ruysdaël et de van de Velde; certaines figures vulgaires, mais puissamment crayonnées, des incidens de chaumière ou de cabaret, évoquent devant les yeux de l’esprit des Jean Steen et des van Ostade. Les portraits l’appellent la touche vigoureuse et réaliste de van der Elst et de Guyp. De beaux reflets viennent cha-