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pulaires de l’indépendance nationale et de la réforme religieuse, et la bourgeoisie commerçante et fière des vieilles communes, très attachée à ses franchises, habituée à un état de choses qui ressemblait fort à la république. Tant que dura la lutte acharnée contre l’Espagne, l’intérêt commun étouffa aisément les germes de discorde qui devaient s’élever plus tard entre une famille illustre, à laquelle le peuple était foncièrement attaché, et ce républicanisme municipal qui avait servi à ses risques et périls la cause nationale et protestante, souffert, triomphé avec elle. Les princes d’Orange, bien que simples stathouders ou protecteurs de l’union des provinces, étaient poussés, non-seulement par l’ambition naturelle au cœur de l’homme, mais aussi par le vœu populaire et par l’intérêt des grandes causes confiées à leur garde, à s’arroger une autorité voisine du pouvoir royal. Or la haute bourgeoisie des villes tenait fort à ses privilèges et redoutait tout ce qui ressemblait à l’autocratie. Les deux partis étaient l’un et l’autre assez forts pour se faire mutuellement échec, pas assez pour que l’un des deux fondât sa prédominance sur l’écrasement total de l’autre. Les luttes passionnées du temps de Barnevelt, des De Witt, celles de la seconde moitié du siècle dernier, forment les points culminans de ce conflit, qui n’a cessé que de nos jours, ou plutôt qui s’est trouvé régularisé par l’établissement de la monarchie constitutionnelle. A l’origine, c’est au nom des états, représentans légitimes des provinces, que la guerre avait été déclarée à l’Espagne violatrice des pactes jurés. Les bourgeois notables qui composaient ces états se considérèrent comme souverains de fait et, après que la rupture fut devenue définitive, comme souverains de droit. Par une raison facile à comprendre, pendant cette lutte de quatre-vingts ans, on vit presque toujours les mêmes noms figurer dans les conseils des villes et dans les états-généraux, composés des délégués de ces conseils. Le peuple, satisfait de voir un prince d’Orange à sa tête et la réforme maintenue, laissa volontiers l’administration et les finances à des hommes rompus aux affaires et dont le caractère éprouvé lui inspirait toute confiance. De plus, on n’avait pas autrefois des susceptibilités aussi vives que de nos jours en matière d’élection. La nomination directe des conseillers par le prince n’eût pas été supportée dans ce pays d’états électifs, mais on trouvait tout simple que les conseillers en exercice désignassent eux-mêmes ceux qui devaient remplir les vides formés dans leurs rangs par la mort ou les sorties de charge périodiques. Ceux-ci à leur tour regardaient comme tout à fait légitime de porter leurs suffrages de préférence sur des parens, sur des amis, sur les fils de ceux dont le nom avait déjà figuré au tableau des bourgmestres et des échevins. Les mariages fréquens entre des familles que rapprochaient les fonctions